L'eau insalubre : ennemi public n°1 dans le monde

Dans les situations de crise, les acteurs humanitaires connaissent l'importance vitale de l'eau potable, de l'assainissement et de l'hygiène. Dans nos missions, tous les jours, nous constatons les ravages causés par l'eau insalubre parmi les populations de pays pauvres victimes d'un conflit ou d'une catastrophe. Le principal fléau dans ce domaine s'appelle la diahrée ! Facile à soigner chez nous, elle est simplement mortelle dans les pays où nous intervenons. Selon les études, il n'y a pas moins de 1,5 million d'enfants de moins de 5 ans qui en sont victimes chaque année.

A la diarhée, ajoutons le choléra, ce fléau d'un autre âge, qui a resurgi brutalement en Haïti après le tremblement de terre et qui a déjà fait 7 000 victimes et infectés 500 000 haïtiens. Et ce fléau progresse aujourd'hui dans l'indifférence générale, du Tchad à la RDC, en passant par le Niger et en tuant chaque année 130 000 êtres humains, tout en en infectant 3 à 5 millions d'autres !

Diahrée, choléra mais également typhoïde, dengue, hépatites et bien d'autres maladies dites hydriques véhiculées par l'eau insalubre, première cause de mortalité au monde, qui tue plus que les guerres et le sida.

Si les maladies cardio-vasculaires sont de fait la cause principale de mortalité, celles-ci sont dues à un âge avancé, et cette mortalité n'est pas de même nature que les maladies hydriques qui affectent principalement des enfants et adolescents. En effet, il y aurait chaque année 3,6 millions morts dus à l'eau non potable, dont 90 % de moins de 14 ans. Cette mortalité représente 136 millions d'années de vie perdues par an (notion d'années perdues pondérées ou Disability-adjusted Life Year ou dalys). Lutter contre l'eau insalubre constitue bien une priorité mondiale.

Or, ce n'est pas du tout le cas ! Cette grande cause est souvent ignorée ou simplement négligée. Comment qualifier cette attitude, sinon de dangereuse, puisqu'en l'absence d'un diagnostic clair, les ressources indispensables ne sont pas mobilisées au niveau requis par la communauté internationale ! Cette urgence est souvent laissée aux bons soins de la communauté humanitaire, que l'on encense trop superficiellement, tout en la laissant se débrouiller face aux malheurs de notre temps ! Ignorance, fatalisme, cynisme, allez savoir ?

Nous sommes à la veille d'un rendez-vous international majeur où cette question vitale, qui concerne quotidiennement des milliards d'êtres humains et des millions de vie perdues chaque année, doit trouver un écho favorable et des réponses à la hauteur de l'enjeu.

Non que rien ne soit fait. Les efforts conjugués, notamment des grandes agences des Nations unies (Unicef, OMS…), contribuent concrètement à une amélioration de l'accès à l'eau potable dans le monde. Mais globalement, cette priorité est largement sous estimée et les ressources et la gouvernance mondiale insuffisantes. Ainsi, l'eau potable et l'assainissement ne sont qu'une priorité secondaire parmi les 8 Objectifs de développement du millénaire (ODM) de l'ONU à l'horizon 2915.

Ce rendez-vous à lieu à Marseille du 12 au 17 mars dans le cadre du 6e forum mondial de l'Eau co-organisé par la France, pays d'accueil, et le Conseil mondial de l'eau. Ce Forum, qui va rassembler la majorité des acteurs de l'eau au niveau mondial, impliquera 25 000 participants venant de 180 pays, 140 délégations ministérielles, 800 intervenants animant des centaines de sessions, événements et panels consacrés à une quinzaine de problématiques majeures.

De manière délibérée et, il faut le souligner, courageuse, ce 6e Forum a décidé d'être celui des solutions et des engagements. Il ne s'agit donc plus d'établir seulement des évaluations ou des constats, mais d'y apporter des réponses satisfaisantes.

De surcroit, ce Forum, après celui d'Istanbul en 2009, vient juste après le vote par les Nations unies le 28 juillet 2010 d'une résolution faisant de l'eau potable un droit humain : "Le droit à l'eau garantit à chaque être humain de disposer pour son usage personnel et domestique d'une eau abordable et saine, en quantité suffisante, de qualité acceptable et accessible." Cette résolution se trouve donc au cœur de ce Forum des solutions et des engagements.

Bien sur, le Forum ne se résume pas à cela. L'eau source de vie doit être abordée dans ses multiples dimensions : santé, alimentation, énergie, changement climatique, urbanisation, eaux transfrontalières, écosystèmes ou croissance verte. Les sujets ne manquent pas et ont tous leur légitimité et leur nécessité.

Mais comment ne pas faire de l'accès à l'eau potable, à l'assainissement et à l'hygiène, qui est la solution face aux maladies hydriques, une priorité des priorités. L'urgence n'est-elle pas d'abord et avant tout de sauver des vies ?

Si les ONG humanitaires et de développement ont été largement invité à participer au processus de préparation depuis l'origine, si elles ont choisie de s'impliquer et d'animer de nombreuses sessions de travail, finalement la seule question décisive pour elles est bien celle des solutions et des engagements que ce Forum entrainera. Dans ce but, l'ONG humanitaire Solidarités International remettra aux plus hautes autorités présentes au Forum une pétition signée déjà par plus de 105 000 de nos concitoyens et qui fait des propositions.

La première cause de mortalité au monde doit enfin être reconnue et déclarée comme un fléau mondial et susciter un plan d'action international déterminé avec les moyens financiers adaptés. L'OMS considère qu'il faudrait 18 milliards de dollars par an, là ou il n'y a eu que 7,4 milliards en 2008, dont près de la moitié en prêts. Ainsi, si la France a considérablement augmenté sa contribution dans ce domaine ces dernières années, au point de devenir le cinquième contributeur mondial avec un budget de 600 millions d'euros, il apparaît que 95 % de ce montant est affecté à des prêts à des pays émergents solvables. Il serait juste d'affecter un pourcentage significatif de dons aux populations en danger et insolvables.

De même, cette pétition propose que les chiffres de référence cités par les Nations unies soient révisés à la lumière des dernières études, notamment celle de Gérard Payen de l'UNSGAB. Ce ne sont pas 884 millions de personnes qui n'ont pas accès à l'eau potable aujourd'hui, mais probablement 3,5 milliards qui boivent une eau dangereuse ou peu sûre selon les normes de l'OMS (Organisation mondiale de la santé). Il faut sortir de l'hypocrisie des chiffres. Aussi, il serait judicieux de mettre en place un mécanisme international d'information précisant les besoins, les engagements, les actions et leur suivi, publiés dans un rapport annuel sur un site consultable partout et par tous.

Enfin, les institutions responsables doivent se coordonner effectivement au plan stratégique et financier pour assurer convenablement, avec leurs partenaires humanitaires qui le réclament, le passage des phases d'urgence vers celle de la reconstruction en sortie de crise puis vers le développement, souvent interrompu brutalement. Ce mécanisme est actuellement très défaillant et entraîne une césure préjudiciable aux populations vulnérables comme cela a été mis en évidence dans un rapport Boinet-Miribel remis au ministre des affaires étrangères et européennes. Mais il existe aussi des contre-exemples positifs qui doivent nous inspirer et qui seront présentés durant le Forum.

Sept personnes meurent chaque minute de l'eau insalubre. Il n'y a plus une minute à perdre.

Par Alain Boinet, directeur général et fondateur de Solidarités International.

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