L’échec de Le Pen est aussi celui de la stratégie équivoque de Mélenchon

On peut aisément dire aujourd’hui que le symptôme le plus essentiel de la campagne présidentielle qui vient de s’achever a d’abord éclos quand Marine Le Pen, la première, a introduit à propos d’Emmanuel Macron le stigmate infamant du « banquier Macron », suivie par Dupont-Aignan, annonçant qu’il ne donnerait pas « la France à la Bourse de Paris, c’est-à-dire à M. Macron ».

Ce symptôme nous a rappelé que le fascisme est aussi un racisme de classe. Les Déat, les Doriot tenaient le même discours anti-oligarchie que celui de Le Pen, avec le même souci d’établir, parallèlement à un racisme ethnique, l’identification personnelle des ennemis du peuple à une faction économique. Cette pseudo-haine de l’argent, si elle a pris alors la forme particulièrement répugnante de l’antisémitisme, témoigne que le fascisme n’a jamais été une simple métaphysique de la race mais qu’il s’est toujours appuyé sur le ressentiment social, la haine aveugle du « gros » : ce qu’on appelle le populisme.

C’est pour avoir éclairé les mécanismes profonds du capital que Marx a pu éloigner les classes populaires de ce populisme haineux. Le capital n’est pas ce tas d’or sur lequel se prélasserait le banquier, qu’il s’appelle Macron ou bien Rothschild, mais le fruit d’un processus historique où la « banque » est certes celle du profit mais aussi celle, italienne ou hollandaise, de la Renaissance.

Lutte des races et lutte des classes

Pourtant, si la stigmatisation du « banquier Macron » est, dans les circonstances actuelles, si troublante, c’est que l’histoire révolutionnaire n’a pas toujours su rendre l’hommage pourtant nécessaire à la dialectique. Sans doute aussi parce que, sur ces révolutions, ont pesé bien des ambiguïtés qui relèvent des surdéterminations de leur préhistoire. Et Michel Foucault n’a pas tort, dans Il faut défendre la société, d’établir une généalogie entre la lutte des races et la lutte des classes. Lien perçu par Marx lui-même, pour qui la pratique révolutionnaire n’est pas complètement dissociable de la contre-histoire des races. De cette généalogie, Marx n’avait-il pas été la victime dans ses textes de jeunesse, comme Sur la question juive (1844) ?

Le racisme de classe, de fait, n’a pas été absent du communisme. Il y eut, pendant la Révolution culturelle, le « chou fu », « la haine des riches », où les équivalents chinois du « banquier Macron » ont été persécutés ; et, en URSS, sous le régime stalinien, l’identification raciale à une classe a été pratiquée sur les enfants des privilégiés.

Or, il est bien évident que, si le slogan lepeniste du « banquier Macron » s’est adressé au « petit peuple » fascisant que Marine Le Pen méprise et cajole, il a atteint et largement contaminé les « insoumis » de Mélenchon. Une telle rencontre eût-elle été possible si, au national-populisme de Le Pen, Mélenchon avait opposé autre chose qu’un national-corporatisme ? La réponse est négative.

Le langage de Mélenchon a trop souvent été un appel aux simples frustrations de ceux qu’il appelle « les gens ». Comment ne pas avoir été sidéré par la péroraison de son discours du dimanche 23 avril : « Vous, tous les gens, patrie bien-aimée, vous êtes un matin tout neuf… », où se mêlent le langage de Déroulède pour « la patrie » et le plus patelin de la mythologie populiste pour « les gens » ?

Le relais du populisme de gauche

Les facéties de Philippe Poutou, lors du premier tour, ont bien illustré le diagnostic de Lénine sur le gauchisme comme maladie infantile du communisme. Le populisme mélenchonien, confus, violent, rudimentaire, apparaît aujourd’hui comme le point de ralliement de l’activisme désordonné de groupes sociaux en déshérence, et comme la conclusion fatale d’un choix politique crucial, celui d’une aventure personnelle, hors de son propre parti, qui a pu rencontrer des succès d’estrade mais qui ne peut que mal se terminer.

Si Le Pen a largement échoué au second tour grâce à l’intelligence politique d’Emmanuel Macron, il y a aujourd’hui le risque que cette lourde défaite électorale ne devienne étrangement l’affaire des mélenchoniens, leur chose, l’objet de leur ressentiment et de leur colère, comme si le populisme de gauche prenait le relais de ce désir de mise à mort du « banquier Macron » que l’extrême droite a manifestement échoué à satisfaire.

L’échec de Le Pen, par l’important écart de son résultat avec celui d’Emmanuel Macron, est aussi l’échec de la stratégie équivoque de Mélenchon. Et la rencontre de ces deux échecs, on le pressent, est le point de départ d’une aventure qui risque d’échapper à l’apprenti Chavez auquel a voulu jouer l’ancien sénateur du Parti socialiste.

Eric Marty, ecrivain et universitaire. Il est l’auteur de « Sur “Shoah” de Claude Lanzmann » (Editions Manacius, 2016).

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