L’économie: « Un défi enthousiasmant mais peut-être impossible à relever ! »

L’économie moderne est affreusement compliquée. Même une chemise, produit relativement simple, peut avoir été dessinée par un créateur italien sur un logiciel informatique américain, et contenir du coton d’Afrique de l’Ouest et des boutons en polyester fabriqués en Chine à partir de pétrole d’Indonésie.

Selon Eric Beinhocker, directeur de l’Institute for New Economic Thinking (Institut pour la nouvelle pensée économique) de l’université d’Oxford, une grande ville comme Tokyo, Paris ou New York offre près de 10 milliards de produits et services différents.

Une telle complexité peut aisément paraître intimidante. Comment une personne ordinaire peut-elle s’épanouir dans un monde aussi ahurissant ? Comment peut-elle même le comprendre ?

Selon John Maynard Keynes, un bon économiste doit être « mathématicien, historien, politicien, philosophe, dans une certaine mesure (…) Aucun aspect de la nature humaine ou des institutions ne doit échapper à son regard ». Keynes avait raison. Acquérir une compréhension parfaite de notre économie est un défi enthousiasmant mais peut-être impossible à relever !

La « perspective du ver de terre »

Il existe cependant une autre façon de considérer l’économie. Il est certes intéressant d’avoir une « vue d’avion » pour examiner la situation dans son ensemble. Mais nous devons également considérer ce qu’il se passe de plus près.

L’économiste bangladais Muhammad Yunus appelle cela la « perspective du ver de terre », celle qui s’intéresse aux détails. Un point de vue qui lui a plutôt bien réussi : il a fondé la Grameen Bank, l’un des organismes de microfinance les plus importants au monde, et a reçu le prix Nobel de la paix en 2006. Et cela peut profiter à n’importe lequel d’entre nous : si nous voulons comprendre cette économie mondiale infiniment déroutante, commençons par regarder ce qui se trouve juste devant nous.

Voici un exemple. Vous êtes sur le point d’acquérir un smartphone à 300 euros, et le vendeur vous propose une bonne affaire : pourquoi ne pas acheter votre « tranquillité d’esprit » ? Pour seulement 15 euros par mois, vous pouvez vous protéger contre le vol, la perte ou la casse de votre téléphone. Ne vous sentiriez-vous pas mieux ainsi ?

En tant qu’apprenti économiste, cela vaut la peine de réfléchir sérieusement à cette proposition.

Inquiétude face aux risques

Tout d’abord, pourquoi vouloir assurer votre téléphone en particulier ? Votre vie est pleine de choses de valeur : vos bijoux, votre ordinateur, vos vêtements, votre portefeuille. Nous n’assurons pas les petits objets séparément du reste. Le téléphone est-il vraiment différent ?

Ensuite, 15 euros, est-ce un bon prix ? Si vous gardez votre argent, au bout de seulement vingt mois, vous en aurez suffisamment pour remplacer votre téléphone par un modèle plus récent. Pensez-vous que vous puissiez protéger votre téléphone aussi longtemps ? Probablement. Alors, pourquoi l’assurer ?

Et peut-être la question essentielle : pourquoi achèteriez-vous une assurance pour téléphone à un vendeur de téléphone ? Ne devriez-vous pas plutôt la souscrire auprès d’une compagnie d’assurance, après avoir vérifié quel était le juste prix du marché ?

Bien évidemment, d’après Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002, un véritable expert pourrait vous dire pourquoi l’assurance semble attrayante : nous sommes démesurément inquiets des risques, même infimes, lorsqu’ils sont portés à notre attention. C’est la raison pour laquelle l’opérateur de téléphonie est si désireux de nous vendre cette assurance au moment même où nous avons tant à cœur de protéger notre magnifique téléphone neuf.

Un peu de psychologie

Prenons un autre exemple : pourquoi les cafés Starbucks proposent-ils autant de boissons à leur menu et pourquoi la taille de celles-ci est-elle si grande ? Un cappuccino italien à l’ancienne fait environ 160 ml, mais les boissons de Starbucks commencent à 355 ml et vont bien au-delà (les « Trenta » font près d’un litre). Des boissons de plus petite taille sont proposées, mais aucune publicité n’est faite autour d’elles. Pourquoi ?

L’une des réponses est à chercher auprès de l’économiste français Jules Dupuit (1804-1866), qui observa que les compagnies de chemins de fer faisaient en sorte que les voyages en 3e classe soient plus inconfortables que nécessaire (notamment en ne prévoyant pas de toit au wagon). Pourquoi ? Parce que si la qualité des voyages en 3e classe s’améliorait, les passagers de 2e classe changeraient de classe pour payer moins cher. Pour la même raison, Starbucks propose un petit cappuccino mais ne fait pas de publicité concernant son existence afin de ne pas perdre de chiffre sur les boissons les plus rentables.

Quant aux boissons de 900 ml, l’explication est donnée par le psychologue et économiste de Stanford Itamar Simonson. Il a montré que les entreprises ajoutent délibérément des options onéreuses à leurs menus, car les clients choisissent souvent l’option « du milieu ». Si une boisson de 900 ml figure au menu, les boissons de 450 ml ne semblent plus tout à coup si extravagantes. Même si personne ne les achète jamais, les énormes boissons « Trenta » influencent ce que nous achetons réellement et combien nous dépensons.

Aucun de nous ne deviendra l’économiste parfait que Keynes avait imaginé. En revanche, nous sommes tous capables de mieux comprendre les forces économiques qui nous entourent au quotidien en nous posant des questions sur ce qui se trouve devant nous. La « perspective du ver de terre » est parfaite, si le ver de terre est curieux.

Par Tim Harford, chroniqueur au « Financial Times ». Il est l’auteur de « La Logique cachée de la vie » (De Boeck, 304 pages, 14,90 euros) et de « Echouez si vous voulez réussir » (De Boeck, 336 pages, 14,90 euros).

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