L'efficacité des sanctions économiques

Vladimir Poutine se trompe de modèles et d'époque. A Pierre le Grand et Staline, il a emprunté le goût des grands espaces et il répète le drame russe : tout ce qui est acquis en géographie est perdu en vitalité économique, civique, scientifique.

Les ancêtres de M. Poutine déplacèrent les bornes de leur empire, mais à quoi bon ? Le peuple russe, contrairement aux Américains, n'a jamais colonisé les nouveaux territoires. La Russie s'est vidée à mesure qu'elle s'étendait ; au temps de Poutine, elle se vide encore, de surcroît elle vieillit et l'espérance de vie ne cesse de s'abréger. Le peuple russe est en voie de disparition biologique : Poutine ou le souverain des « âmes mortes ».

Staline, jamais invoqué, mais son spectre reste présent, incarnait, malgré lui, une idéologie universelle : l'URSS recrutait partout dans le monde des « compagnons de route » pour qui le soviétisme parut une alternative au capitalisme démocratique. A l'inverse, le poutinisme n'existe pas : nul ne rêve de vivre comme les Russes, pas même les Russes qui miment dès que cela leur est permis la société occidentale. Le poutinisme n'est pas une vision du monde, ce n'est même pas une vision pour la Russie, ni politique, ni économique, ni spirituelle.

Certains, en Russie, mais plus encore à l'Ouest chez des russophiles nostalgiques, voudraient voir en M. Poutine un héritier des slavophiles : ceux-ci, au XIXe siècle, imaginaient une société plus spirituelle, moins matérialiste que l'Occident européen et américain. Mais l'oligarchie poutinienne, son régime policier ne sauraient passer pour une utopie à la Dostoïevski. Poutine joueur d'échecs, une autre tradition russe ? Etrange joueur qui serait tout en muscles et avec dans sa manche, au mieux, un coup d'avance et pas deux.

POUTINE ÉPUISE SES RESSOURCES ÉCONOMIQUES

On m'objectera que le président russe a déjà gagné plusieurs parties, en Géorgie, en Crimée et en Syrie. Certes, dans ces trois cas, il a exploité la constante incapacité des démocraties à réagir et surtout à réagir vite. Mais quel est le bénéfice de ces victoires ? Qui vit mieux en Russie ? Qui souhaite immigrer en Russie ? Qui souhaite vivre comme un Russe ? Personne, pas même les Russes.

Voyons plutôt ce que Poutine a perdu et ce qui lui reste à perdre. En absorbant des territoires, il épuise ses ressources économiques qui sont limitées : en dehors de Moscou, les Russes vivent dans une extrême pauvreté qui peut expliquer leur alcoolisme croissant et la brièveté de leur existence. Ces annexions ont incorporé en Russie un plus grand nombre de minorités non russes : ainsi la Crimée est-elle en bonne voie de devenir une nouvelle Tchétchénie où des Tatars musulmans deviendront des djihadistes possibles.

Enfin, en instaurant l'instabilité, l'imprévisibilité et la négation du droit comme principes de l'Etat poutinien, le président détruit le fondement de son pouvoir : le gaz et le pétrole. Les investissements russes et étrangers n'iront plus du tout se risquer dans la modernisation à long terme de l'industrie en Russie. Ceux qui n'ont pas encore fui fuiront et ceux qui soutenaient le budget trouveront des placements plus sûrs.

Les Européens et les Américains, en apparence, réagissent mollement, mais le temps joue en leur faveur : l'exploitation, désormais accélérée, des ressources énergétiques anciennes et nouvelles, le gaz par fracturation en particulier, et la commercialisation du gaz américain vont faire chuter les cours du gaz russe au-dessous du seuil de survie de Gazprom, le véritable trésor russe.

LES RUSSES METTRONT UN TERME AU POUTINISME

Se retourner vers l'Asie, créer une zone économique russo-asiatique, comme l'envisage M. Poutine, n'est pas une alternative au marché occidental : les richesses sont à l'ouest de la Russie, pas à l'est. Le sénateur américain John McCain a comparé Vladimir Poutine à un gérant de station-service en voie de perdre sa clientèle : l'image est excessive, mais elle est juste. Les premiers à s'en apercevoir ne seront pas les Occidentaux, mais les Russes eux-mêmes, quand l'inflation dévorera leurs salaires et leurs retraites, ce sont eux qui mettront un terme au poutinisme, de même que les Soviétiques se sont débarrassés de l'URSS.

Est-ce à dire qu'en Occident nous avons tout avantage à rester passifs ? Réagir à l'excès exciterait M. Poutine et conduirait à des violences fatales aux Russes, aux Ukrainiens, aux Baltes, voire aux Polonais. Ne pas réagir du tout encouragerait la violence. Il reste la troisième voie, celle des sanctions économiques, celle que les démocraties empruntent le plus souvent, chaotiques, indécises, mais à terme gagnantes.

Une suggestion supplémentaire tout de même : il faudrait parler directement aux Russes, au peuple russe, plus qu'à Vladimir Poutine. Le président n'écoutera pas, il ne cédera pas. Mais le peuple russe devrait savoir – on ne le lui dit pas – que les démocraties en Occident soutiendront vraiment ceux qui en Russie considèrent que les Russes aussi ont droit, à terme, à un régime civilisé.

Guy Sorman, essayiste.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *