L'Eglise a besoin d'une réforme profonde

Que le pape démissionne à cause de son âge est déjà un fait exceptionnel ! Mais qu'il ajoute à cette motivation celle d'un monde qui avance trop vite pour lui est à souligner.

Comment dès lors son successeur interprétera cet acte : pour gouverner la barque de Pierre dans un monde en pleins changements, faut-il un pontife qui les accueille ou les refuse ?

D'aucuns trouveront l'alternative tronquée : il y manquerait la perspective d'un accueil critique de la postmodernité. Car, de fait, la démission de Benoît XVI éclaire d'un jour nouveau la crise que l'Eglise traverse.

Depuis le grand discours d'adieu de Jésus, ses disciples savent qu'ils sont dans le monde sans être du monde, mais ils n'ont jamais fini de discerner la manière dont ils peuvent être témoins de l'Evangile.

Mais, depuis que la religion ne structure plus la réalité sociale, nous sommes confrontés à une situation inédite dans l'histoire de l'humanité : celle-ci peut vivre comme si Dieu n'existait pas !

AURAIT-IL LUTTÉ JUSQU'À L'ÉPUISEMENT ?

Benoît XVI a lutté contre cet effacement de Dieu comme fondement de la vérité de l'humain. Aurait-il lutté jusqu'à l'épuisement ? Du coup, sa démission ne serait-elle pas le signe de l'échec de ce combat perdu d'avance ?

Le prochain pape pourrait manifester en quoi la mentalité contemporaine nous permet de découvrir un nouveau visage de Dieu en fidélité à l'itinéraire du Christ.

Pour le pape actuel, seule la soumission à Dieu, et donc à son Eglise qui en interprète les volontés, permet de la découvrir. Mais n'est-il pas possible d'envisager autrement la relation avec la transcendance ?

L'Evangile nous montre un Dieu caché dans la chair du monde que les autorités religieuses refusent de voir ! Dieu n'est plus en rivalité avec l'humanité.

Son altérité creuse notre désir, son infini loge dans notre finitude. Jésus nous a appris à le découvrir chez les plus petits qui sont ses frères. La question de la vérité est donc intimement liée à celle de la solidarité.

Si Dieu se fait solidaire, c'est pour nous apprendre une autre manière de vivre avec les autres.

UNE NOUVELLE MANIÈRE DE GOUVERNER

L'imitation du Christ nous interdit donc de ressembler aux scribes qui imposent aux autres les fardeaux d'une loi prétendument divine. Si le pontife romain veut ressembler à Jésus, il devra, comme lui, être accueillant et dialoguant, surtout avec ceux et celles qui sont rejetés.

Il ne s'agit pas de charité compassionnelle mais d'une lutte avec ceux et celles qui refusent les structures économiques et politiques iniques.

Mais, que la vérité se trouve dans un dialogue solidaire implique aussi une nouvelle manière de gouverner. Les évêques, dont celui de Rome, ne peuvent plus prétendre savoir pour et à la place des autres.

Ils sont au contraire invités à chercher un Dieu toujours plus grand qui échappe à nos raisonnements. Or l'Eglise institutionnelle adopte encore le plus souvent le comportement des pharisiens pour le meilleur et le pire.

Comme eux, elle court le risque de se couper de ceux et celles qui croient, pensent ou vivent autrement que ne le prévoient ses définitions.

Certes elle a fait, depuis le concile Vatican II, des efforts de dialogue mais à un niveau pastoral. La théologie n'en est pas affectée. Le catéchisme reste le même et les voix discordantes à l'intérieur de l'Eglise peinent à se faire entendre.

MISE AU PAS DES THÉOLOGIENS

Et le cardinal Ratzinger a été l'artisan d'une mise au pas des théologiens, privant l'Eglise d'une recherche indispensable, notamment en dialogue avec les sciences humaines.

Cette manière de gouverner est devenue insupportable à nos contemporains épris d'autonomie. Elle est aussi en contradiction avec le témoignage du Nouveau Testament.

De l'accueil de la Samaritaine ou de la femme adultère à celui du larron sur la croix, Jésus a brisé les frontières de lois inhumaines. Chaque rencontre a été l'occasion de dire un Dieu qui libère.

Il a aidé ses disciples à transgresser des traditions perçues comme divines alors qu'elles n'étaient qu'humaines.

L'Eglise est encore invitée à poursuivre ce travail de déconstruction. D'ailleurs, Luc, dans les Actes, ne cache pas les conflits qui amenèrent l'Eglise à abandonner certaines prescriptions tout en inventant de nouveaux ministères et en précisant les exigences de la foi. Ces récits doivent inspirer l'agir pontifical.

UNE PAROLE LIBRE DOIT CIRCULER

En matière de morale familiale, par exemple, un vrai dialogue à l'intérieur de l'Eglise avec les couples divorcés puis remariés ou les personnes homosexuelles est impératif, tout comme la prise en compte de la problématique du genre.

Les femmes ne pourront plus être longtemps cantonnées à des tâches subalternes.

Il est aussi urgent que le ministère de Pierre soit mis en tension avec la figure de Paul : Pierre n'eut pas raison sans l'apôtre des gentils.

Une parole libre doit circuler entre les évêques sur toutes les questions cruciales de notre monde. Ils ne sont pas de simples courroies de transmission de la curie romaine.

De même, un échange franc et honnête avec les Eglises sœurs, surtout les protestants, est urgent. C'est une condition pour que l'Evangile s'enracine dans toutes les cultures.

L'AVIS DES FIDÈLES

Le pape ne pourra pas non plus négliger l'avis des fidèles. Ecouter comment ils rendent compte de ce qu'ils vivent permettra à l'Eglise d'échapper à la logique caricaturale du blanc et du noir en cherchant le sens dans toutes les zones grises de nos existences, pour parler comme feu le cardinal Martini.

En ce sens, c'est moins d'un nouveau concile d'évêques que d'une réforme fondamentale sur les questions institutionnelles et doctrinales que l'Eglise a besoin.

Elle pourra ainsi être témoin de la pertinence du christianisme dans notre postmodernité et dire Dieu autrement dans une nouvelle manière de faire Eglise, en dialogue non crispé avec le monde, pour tenter d'en relever les défis.

Christian Terras, rédacteur en chef de "Golias Hebdo"et de "Golias Magazine"

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