L’Eglise catholique doit changer son regard sur la sexualité

Le cardinal Barbarin menacé de prison pour son silence complice ! N’est-ce pas plutôt l’Eglise catholique et son malaise face à la sexualité qu’il faudrait accuser ? Quel âge avais-je ? Une dizaine d’années. Un âge où l’on s’émerveille de tout. Précisément, pendant la récré, je faisais part à mes camarades de mon émerveillement pour la prof d’anglais.

Dans ce collège de garçons, cette blonde aux allures de Marylin et au parfum capiteux avait de quoi faire rêver. Rien de bien méchant. Mais mes propos, si discrets fussent-ils, avaient tout de même attiré l’attention de l’abbé S. Double claque suivie d’un coup de pied aux fesses énergique qui m’a fait rouler aux pieds du petit groupe : je n’avais rien vu arriver. L’abbé S. était un bon footballeur, et ses semelles de crêpe l’avaient aidé à mener dans le silence sa foudroyante attaque.

L’affaire était oubliée. Dans ce collège, on avait l’habitude des coups – on en tirait même parfois gloire. Elle ne m’est remontée à la mémoire que bien plus tard. Le collège était loin, j’étais devenu psychiatre, et les mystérieux dessous de la prof d’anglais ne me tourmentaient plus. C’étaient d’autres mystères, autrement moins joyeux, qui me préoccupaient : ceux de la grande souffrance morale.

Fortuitement, par un ami magistrat, j’appris que l’abbé S. venait d’être inculpé de pédophilie : il y avait eu plaintes, perquisition au domicile, découverte de photographies obscènes réalisées avec des enfants… A ma surprise, j’éprouvais une immense peine à l’évocation des faits. Ainsi, j’avais attiré les foudres d’un malade…

Comme un curieux déni de la sexualité

Ces souvenirs qu’avec le temps, je regardais avec bonhommie, n’avaient rien d’un jeu où, par imprudence, je m’étais heurté à l’autorité triomphante d’un préfet de division. Ce n’était pas l’excessive réaction d’un homme de foi face aux débordements d’un enthousiasme de jeunesse, c’était la colère d’un homme torturé face à un plaisir naissant dont il s’était tenu toujours écarté. Un plaisir sans doute inconvenant, qu’il s’était interdit au point de n’avoir pas su l’intégrer.

J’ai repensé à l’abbé lorsqu’il m’a été donné de suivre, sur injonction du juge, un pédophile. Un homme marié et père de famille, pétri de bonne conscience, qui s’étonnait de ce qu’on fasse tant d’histoire pour quelques attouchements de jeunes gens dans une piscine : « Pensez- donc, docteur, moi, un obsédé ? Tenez, hier encore, ma femme chaloupait dans la cuisine : je n’ai pas bougé ! »

Il y a chez certains de ces individus comme un curieux déni de la sexualité – une relation au sexe qui reste celle qu’un enfant entretient avec lui-même, évacuant ce qui le gêne au moyen d’étranges cloisonnements. Tout cela est mis au placard et bien verrouillé : on ne désire pas, on agit ; les fantasmes suivent mais ils ne précèdent pas – et sans doute, ainsi, fait-on l’économie d’une trop pesante culpabilité.

La sexualité adulte nécessite une intégration qui donne aux appétits érotiques leur place en fonction d’un choix assumé et réajusté en permanence selon l’histoire, l’expérience personnelle et les doutes de sa conscience.

Le plaisir sexuel ne peut être un but en soi

Longtemps, cette juste place accordée à la sexualité, l’Eglise catholique s’en est montrée incapable. L’est-elle davantage aujourd’hui ? On peut s’interroger.

Dans ce monde où l’on ne valorise que le désir, j’ai écrit un livre à la gloire du couple et de l’amour dans la durée qui m’a valu l’intérêt des catholiques. Malheureusement, ce livre commence par une approche du désir qui prend les choses à l’origine, dès les premiers moments de l’érotisme infantile. Dans le but d’exposer avec quelles forces il faudra composer pour maintenir l’amour à son niveau le plus élevé, il m’a en effet semblé nécessaire de retracer la généalogie du désir sexuel, différente pour chacun des deux sexes. Un certain nombre de catholiques ont crié au scandale ! Et dans des revues catholiques, mes propos ont été censurés…

Pourtant – est-ce un effet de ma formation catholique ? – je suis fermement convaincu que dans le domaine de la sexualité, tout n’est pas permis. Ou plutôt, que le plaisir sexuel ne peut être un but en soi, comme on tend à le croire aujourd’hui. Dans aucune société sur cette planète, même celles qui sont en apparence les plus tolérantes, la sexualité n’est réellement libre : partout, elle est intégrée à une culture qui lui donne sa place en fonction d’un système de croyance – une place rigoureusement encadrée par des règles de conduite.

Partout, comme le signale l’anthropologue Maurice Godelier, le but est le même : s’appuyer sur la sexualité pour produire du lien. Et l’une des questions centrales de notre culture pourrait bien être que, dans un souci d’émancipation de toutes les contraintes, nous avons fait du plaisir sexuel un but en soi, au point de nous couper de la relation dans laquelle il s’inscrit.

Rendre à l’amour ce qui est à l’amour

Ce ne sont donc pas là des propos d’hédoniste à la mode, et je me sentirais certainement proche de la religion catholique si elle était à même, disons, de rendre au sexe ce qui est au sexe et à l’amour, ce qui est à l’amour.

De nombreux catholiques préfèrent encore aujourd’hui traiter les problèmes que posent la sexualité et ses désirs pressants en les niant ou les taisant. Certes, les choses changent, et une évolution dans le bon sens s’est dessinée dans ces trente dernières années sous l’impulsion du Pape Jean Paul II (Hommes et femmes il les créa : une spiritualité du corps, Jean Paul II, Editions du Cerf, 2004). Mais le tournant a été tardif et des siècles de stigmatisation de la chair ne s’effacent pas en quelques décades.

Entendons-nous bien : je ne pense pas que le célibat des prêtres soit le grand responsable de ces affaires de pédophilie. Non, le problème est plutôt l’attitude que l’Eglise catholique a longtemps manifestée envers le corps, attitude qu’il était urgent de réévaluer à une époque où triomphent les valeurs de liberté et où la Nature n’inspire plus la crainte.

Le célibat des prêtres ne me choque pas, s’il est un choix libre et mûri, et ce n’est pas lui qui favorise la pédophilie mais bien la façon dont l’Eglise, embarrassée par la sexualité, a longtemps préféré omettre le sujet. Dans ma pratique, j’ai croisé des artistes qui se dédiaient entièrement à leur art et lui sacrifiaient leur vie personnelle. Pourquoi n’en serait-il pas de même quand il s’agit de vivre dans l’amour de son Dieu ?

Mais cette volonté d’aller au delà d’une relation incarnée et de s’absorber tout entier dans une relation absolue doit être conçue comme une tension positive vers un au-delà et non comme un dédain du corps : sans quoi, elle fera le bonheur de ceux qui se méfient de leur corps. Peut-être d’ailleurs, ce chemin n’est-il pas accessible à tous, et l’Eglise catholique aurait beaucoup à gagner en laissant aux prêtres le choix du mariage ou de l’engagement total.

« La conscience est la voix de l’âme, les passions sont la voix du corps », disait l’Emile de Jean-Jacques Rousseau. La vraie foi n’est-elle pas celle où se conjuguent ces deux voix pour s’adresser à plus haut que soi ? Il est urgent, pour l’Eglise catholique, de refaire clairement honneur au corps, ce corps dans lequel a choisi de vivre son Dieu.

Jean-Paul Mialet est psychiatre, catholique de formation et auteur de Sex aequo, le quiproquo des sexes (Albin Michel, 2011).

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