L’élection américaine : Un compromis envisageable avec l’appareil du Parti républicain

« Trump parle le conservatisme comme une langue étrangère. » Dans un article énumérant ses approximations sur la Constitution américaine, la Bible, la culture des armes, ou encore l’avortement, la revue National Review rappelait cet été que Trump n’est pas un conservateur et que ses tentatives d’en reprendre le répertoire et d’en imiter les positions manquaient d’authenticité.

Difficile en effet de rapprocher le nouvel hôte de la Maison Blanche des figures tutélaires du conservatisme : New-Yorkais, Trump a grandi loin d’Orange County, berceau du mouvement qui porta la campagne du sénateur républicain Barry Goldwater (1909-1998) contre le New Deal en 1964 ; il ne cite jamais la romancière et philosophe Ayn Rand (1905-1982) ou l’économiste Milton Friedman (1912-2006, prix Nobel d’économie en 1976), et surprit plus d’un conservateur en déplorant non l’inanité, mais l’insuffisance de la loi sur la sécurité sociale.

Liens ténus avec la droite chrétienne

Son programme économique, bien flou, comporte un volet protectionniste allant à l’encontre du dogme du libre-échange. Quant à ses liens avec la droite chrétienne, ils sont ténus : bien qu’il ait reçu le soutien du fils du pasteur baptiste et télévangéliste Jerry Falwell (1933-2007), qui avait fondé la Moral Majority – la « majorité morale » – en 1979 pour aider à l’élection de Ronald Reagan, c’est bien à son colistier, Mike Pence, que revenait la difficile tâche de convaincre les électeurs évangéliques de le soutenir.

Si la victoire de Trump est un marqueur de la crise du conservatisme américain, c’est qu’elle en souligne toutes les limites actuelles. Bien qu’ils ambitionnent depuis les années 1950 de concilier piété et individualisme économique, les conservateurs n’ont connu le succès électoral qu’en ayant recours à une rhétorique populiste opposant le peuple vertueux et travailleur à l’incurie des élites progressistes de Washington.

A la suite de la réélection de George Bush en 2004, nombre d’observateurs, à l’instar de Thomas Frank, auteur du célèbre What’s the Matter With Kansas ? (Pourquoi les pauvres votent à droite, Agone, 2013), se sont interrogés sur ces Américains issus des classes populaires qui votaient contre leur intérêt économique par attachement aux valeurs traditionnelles de la famille ou de la nation.

De la morale à l’économie

Cependant, dans un contexte de crise sociale et économique, Trump a renversé les termes de ce populisme. S’il se présente comme un défenseur des travailleurs, c’est bien au nom de leur intérêt économique, et moins des valeurs morales. Quelle qu’en soit l’ironie au vu de son parcours ou de ses propositions sur les baisses d’impôts, il est difficile de ne pas voir dans son succès important auprès des Américains non diplômés de l’université une forme de retour de bâton, les politiques néolibérales et la mondialisation ayant fragilisé une partie de la base populaire du Parti républicain, dont Trump s’est plu à rappeler qu’il n’est pas le « Parti conservateur ».

Quant à sa position d’outsider du champ politique, elle rappelle aux conservateurs que les huit années consacrées à s’opposer farouchement à Obama et à entraver l’action du gouvernement – que l’on se souvienne des crises budgétaires qui ont émaillé ces deux mandats – ont nourri une défiance déjà profonde à l’égard des élites politiques. Là aussi, le conservatisme américain a été dépassé par ses avatars.

Néanmoins, quels que soient les doutes profonds qu’ils nourrissent à l’égard de Donald Trump, il n’est pas certain que les conservateurs ne puissent, pour un temps au moins, vivre avec lui. Il y a deux raisons à cela.

Compromis

La première est que, par nature, le conservatisme américain a toujours fabriqué des compromis visant à contenir les tensions importantes entre ses différentes factions, compromis d’autant plus nécessaires que le système bipartite condamne les tiers partis.

La seconde est que, au cours du mandat à venir, ce sont plusieurs des briques élémentaires de l’agenda conservateur qui seront au cœur des débats : qu’il s’agisse de l’abrogation de l’Affordable Care Act [loi sur la protection des patients et les soins abordables, promulguée par Barack Obama en 2010], des négociations sur le climat, de la législation sur l’immigration, sans compter les leviers offerts par les nominations à la Cour suprême.

La collaboration avec le nouveau titulaire de l’exécutif pourrait être plus facile à envisager qu’une difficile traversée du désert.

Jean-Christian Vinel est historien des Etats-Unis, maître de conférences à l’université Paris-Diderot. Il est l’auteur, avec Clarisse Berthezène, de Conservatismes en mouvement. Une approche transnationale au XXe siècle, éditions de l’EHESS, 464 p., 28 €.

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