L’électrification de l’Afrique passe par l’initiative du terrain

Le plan Borloo d’électrification générale de l’Afriquea dû replier son ambition. Seule « proposition » de la France à l’Afrique lors de la COP21, demander 50 milliards d’euros à un fonds vert aussi poussif que convoité s’est révélé illusoire. La France n’a annoncé qu’un engagement de 2 milliards d’ici à 2020 – auxquels s’ajoutent 6,8 milliards promis par d’autres pays pour installer 10 GW.

L’aide publique au développement reste, elle, au plus bas, malgré les « objectifs de développement durable » pour 2030adoptés à l’ONU en 2015, qui incluaient« une énergie abordable, propre et fiable pour tous ».

L’Union africaine s’est donc recentrée sur la très active Banque africaine de développement, aux objectifs ambitieux mais aux moyens financiers limités. Celle-ci pilotera l’Initiative africaine pour les énergies renouvelables, et les 10 GW financés. Mais ces investissements, qui concernent pour une large part les énergies fossiles, resteront destinés aux plus aisés des pays et des villes, car plus solvables.

Accélération de la désertification

A l’injustice climatique – premières victimes des dérèglements climatiques, les pays et les populations les plus pauvres du continent en sont les moins responsables – s’ajoute l’injustice sociale. Ces injustices nourrissent déjà migrations déstabilisantes, ressentiments, extrémismes et guerres.

Alors que 70 % de sa population vit sans électricité, l’Afrique subsaharienne (1,4 milliard d’habitants en 2030) continuerait ainsi de brûler massivement bois et résidus agricoles, y compris en ville, accélérant sa désertification. Alors même que des services énergétiques fiables et partout accessibles – pour la cuisson, l’eau potable et agricole, la conservation des aliments, la santé, l’école, le transport – sont reconnus comme une clé indispensable du développement.

Pourtant, des acteurs publics et privés multiples s’y intéressent : volonté d’exportation des pays industrialisés, larges ressources inexploitées, forte baisse du coût des énergies renouvelables (EnR) et maturité des marchés urbains africains se conjuguent. Mais les projets sont insuffisamment financés et peu engagés sur les EnR et l’accès réel de tous à ce service essentiel.

N’attendons malheureusement pas de la COP22 qu’elle donne enfin la priorité aux 47 pays les plus pauvres (aux deux tiers africains) pour les fonds climatiques ou pour l’aide au développement, si faibles soient-ils.

Créer une agence régionale

L’accès universel à l’énergie, des banlieues pauvres des grandes villes au fin fond des campagnes subsahariennes, est un objectif réalisable à l’horizon 2030 pour un coût modéré, si on le finance autrement que par des promesses internationales toujours déçues et en offrant un débouché rentable à une épargne africaine sous-utilisée. Certes, les pays les plus pauvres souffrent de leur faible attractivité de « pays à risques » pour les investisseurs et de la chute de l’aide publique.

Mais, associant faible consommation d’énergie, faible efficacité énergétique et potentiel énorme en EnR, l’Afrique subsaharienne peut progresser facilement partout, en particulier dans les énergies sobres en CO2, qui offrent des marchés solvables, des mix énergétiques variés adaptables à des contextes locaux divers, et bénéficient des nouvelles solutions télématiques de paiement garanti.

Ardemment souhaitée et déjà initiée, une transition énergétique massive peut être catalysée dans toute l’Afrique par une ou des agences régionales publiques dédiées au financement des infrastructures énergétiques, qui bénéficieraient d’un simple effet de levier de l’aide internationale. Un actionnariat ouvert, multilatéral, éprouvé, mixant un capital majoritaire des Etats, une dotation initiale modeste des fonds verts, celles des banques de développement et des Etats industrialisés, obtiendrait d’entréeune notation financière élevéeque ne possède aucun des pays de la zone, ce qui l’autoriserait à lever des fonds à des taux réduits.

Les obligations émises permettraient notamment aux banques commerciales d’investir rentablement l’abondante épargne africaine, à 60 % inemployée, ainsi qu’aux marchés financiers internationaux de financer l’économie réelle. Par exemple, en Afrique de l’Ouest, 2 milliards d’euros de fonds verts pourraient en mobiliser 90 pour les 60 GW de capacités supplémentaires nécessaires à la région d’ici à 2030.

Sortir de l’impasse

Une agence régionale offrirait une ingénierie technique et financière pointue aux sociétés nationales d’énergie pour étendre des réseaux comme pour créer des systèmes hybrides locaux autonomes. Appels d’offres, décentralisation et participation locale démultiplieraient les capacités des pouvoirs publics dans des conditions de faisabilité techniques et sociales éprouvées, créant des emplois pour l’équipement et la maintenance, et dans les activités économiques générées par l’électrification.

Sans oublier la mise à la disposition des consommateurs de méthaniseurs de déchets, foyers de cuisson améliorés, motopompes solaires, kits de basse consommation, et la promotion des pratiques agricoles stockant naturellement le CO2.

Une telle agence sortirait aussi les EnR de l’impasse en les finançant sur la durée appropriée – leur coût de fonctionnement est quasi nul, mais l’investissement est plus coûteuxet en subventionnant leurs éventuels surcoûts passagers, avec par exemple des tarifs différenciés selon les usagers.

On échapperait ainsi aux cercles vicieux de projets ponctuels et partiels, aux saupoudrages de bailleurs de fonds désargentés, toujours en retard sur les besoins.

Par Karima Delli (Députée européenne (EELV)), Christine Rebreyend-Surdon (Responsable du groupe de travail coopération et développement d’EELV) et Michèle Rivasi (Députée européenne (EELV))

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *