« L’entrée dans une phase descendante de l’économie mondiale » devrait accroître « l’incertitude » politique

L’incertitude est au centre de l’actualité, tant politique qu’économique. En politique, deux scrutins majeurs ont successivement mis à mal les sondages qui les avaient précédés. Leurs résultats respectifs ont aggravé encore cette incertitude, en raison de l’imprévisibilité des décisions prises par Donald Trump et des réactions inattendues de plusieurs acteurs touchés par le Brexit.

En économie, l’avenir de la Communauté européenne et plus encore de l’Eurozone se trouve aujourd’hui remis en question. Quant au développement de la mondialisation, il devient incertain, au vu de la baisse des chiffres du commerce mondial et de la montée des protectionnismes nationaux.

Ces incertitudes politiques et économiques ne sont pas sans interactions, comme le montre, par exemple, la hausse des taux d’intérêt de la dette française sur les marchés, imputée à l’anticipation d’une victoire du Front national aux élections présidentielles françaises.

Incertitude attendue ou inattendue

L’incertitude n’est pas une notion simple. Il faut distinguer deux catégories d’incertitude : une incertitude « attendue », lorsque les situations possibles sont connues, mais leur occurrence inconnue ; une incertitude « inattendue », lorsque ce qui survient n’appartient pas aux situations attendues et constitue, pour cette raison, une véritable surprise.

De nombreux travaux en économie comportementale et en neurosciences ont aujourd’hui montré que ces deux catégories d’incertitudes engendrent chez les acteurs socio-économiques des comportements tout à fait différents. Face à l’incertitude attendue, nous cherchons à réduire l’inconnu en nous référant à un modèle et aux résultats récents qu’il a enregistrés.

En cas d’incertitude inattendue, cette référence perd son sens. Il nous faut rechercher d’autres données souvent très éloignées des observations récentes, afin de reconstituer de nouvelles références. Or c’est à l’évidence une incertitude de cette seconde catégorie qui s’impose à notre horizon politique et économique

Economie, inventions et conflits

Un retour sur le temps long peut paradoxalement fournir une boussole pour orienter cette quête d’un nouveau cadre nécessaire à l’interprétation des situations auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontées. Une équipe de chercheurs russes s’est ainsi récemment employée à réexaminer, à la lumière des techniques statistiques développées par la cliométrie, les hypothèses des cycles longs de Kondratieff (Economic Cycles, Crises, and the Global Periphery, Leonid Grinine, Andreï Korotaïev, Arno Tausch, Ed. Springer 2016, non traduit).

Rappelons que l’économiste russe Nikolaï Kondratieff (1892-1938), dont les écrits ont été publiés en 1925-1926, ne s’est pas contenté d’identifier statistiquement des alternances de séquences d’une quarantaine d’années de hausses et de baisses d’activité économique mesurées par des séries de prix.

Il a également suggéré, sur les bases des données recueillies, que des mouvements de longues périodes de même type pouvaient également être observés dans deux autres domaines, les inventions et les innovations technologiques d’une part, les conflits et les guerres d’autre part. Selon ses travaux, c’est pendant les phases de décroissance économique que s’observe une augmentation du nombre des inventions et des conflits armés.

Phase descendante

Premier constat, selon nos trois auteurs : la phase économique ascendante qui a débuté au milieu des années 1980 s’est achevée ; elle est en train de faire place à une phase descendante qui devrait commencer à manifester ses effets à partir des années 2015-2018, c’est-à-dire dès la sortie de notre grande crise de 2008. Ceci permet d’expliquer une partie du caractère inattendue de notre incertitude, par le changement de référence qu’impose ce point de retournement.

Mais nos auteurs vont plus loin. Ils observent que cette longue période ascendante de l’économie qui s’est ouverte aux alentours des années 1985-1990 s’est accompagnée d’une transformation du système de l’économie mondialisée, au profit de plusieurs pays de la périphérie, principalement asiatiques, par rapport aux pays du centre, Etats-Unis et Europe occidentale. Mais qu’adviendra-t-il de ce mouvement ? Le basculement dans une phase économique descendante constitue, pour cette raison, une source supplémentaire d’incertitude inattendue.

Concernant la relation entre cette dernière phase de croissance économique et les conflits armés, elle semble confirmer l’hypothèse de Kondratieff. En effet, selon les données du Stockholm International Peace Research Institute (Sipri), le nombre des conflits interétatiques a diminué de manière significative durant cette période. En revanche, on assiste après 2010 à une remontée vertigineuse des conflits armés. Mais là encore, c’est la transformation de leurs modalités qui semble déterminante.

Incertitude

Ainsi, c’est en particulier le nombre des interventions de puissances extérieures dans les conflits régionaux ou locaux qui ont surtout augmenté. L’entrée dans une phase descendante de l’économie mondiale devrait aggraver cette tendance tout en accroissant l’incertitude de ses formes.

Du côté de l’innovation, l’hypothèse formulée par Kondratieff semble au contraire contredite, puisque force est de constater que la phase de croissance économique qui se termine a coïncidé, au contraire, avec un bond des innovations mesuré par le nombre des brevets dans la période.

Mais en introduisant une distinction entre les découvertes (« breakthought ») et leur exploitation (« improving »), nos chercheurs montrent toutefois que cette période a surtout exploité des découvertes antérieures, en particulier dans les techniques de l’information. Ce constat ne fait du reste que renforcer l’incertitude inattendue en la matière, puisqu’il invite à s’interroger sur une possible coïncidence de la prochaine phase descendante du cycle économique avec de nouvelles véritables découvertes, par hypothèse imprévisibles.

Ce panorama ne suffit certes pas à réduire ces incertitudes inattendues, mais il contribue déjà à mieux les comprendre en identifiant plusieurs de leurs origines.

Christian Schmidt, professeur émérite, université Paris-Dauphine.

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