L'épicentre des souffrances

Les parlementaires vont débattre de la loi pénitentiaire et auront certainement en mémoire leurs travaux de 2000 qualifiant la prison d'humiliation pour la République.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Le constat est amer. Quelque 48 000 détenus en 2001, 63 000 aujourd'hui (pour 53 000 places), 80 000 à l'horizon 2017. La prison demeure l'alpha et l'oméga de la réponse pénale aux infractions.

Certes, la création du contrôle général des lieux de privation de liberté et la mise en oeuvre des règles pénitentiaires européennes constituent des avancées. Mais les stratégies de réinsertion et de réhabilitation marquent le pas au profit de stratégies de neutralisation-élimination. Cinq ans après une libération, le taux de retour en prison est de 41 % tous délits et crimes confondus, mais il est inférieur à 0,5 % pour les homicides et à 1 % pour les agressions sexuelles sur mineurs.

La charge émotionnelle autour des victimes rend ce message inaudible et l'on en est venu à créer le principe de centres de rétention de sûreté où seront placés, à l'issue de leur peine de prison, des criminels considérés comme présentant une probabilité élevée de récidive sur la base notamment d'expertises psychiatriques, rendant possible l'enfermement d'une personne qui n'aurait jamais récidivé.

Si, en tant que citoyenne, je déplore cette évolution du droit, fût-elle portée par une majorité de mes concitoyens, en tant que psychiatre, j'affirme que lorsqu'un psychiatre prédit la récidive délinquante, par définition incertaine, aléatoire et multifactorielle, il fait référence non à sa science mais à son intime conviction.

Comme en 2000, les parlementaires s'indigneront du nombre de malades mentaux incarcérés. Une personne détenue sur trois avait déjà consulté pour un motif psychiatrique avant l'incarcération, et une personne détenue sur trois est considérée comme relevant de soins psychiatriques. On retrouve quatre fois plus de personnes schizophrènes en population pénale qu'en population générale, et leur vie en détention est un parcours d'obstacles qui aggrave généralement leur état.

Certes, les pouvoirs publics vont renforcer le dispositif de soins psychiatriques en milieu pénitentiaire, prenant acte d'une situation dont la communauté psychiatrique ne doit pas s'accommoder car elle a une large part de responsabilité dans le phénomène. La venue de soignants en prison a permis d'apporter des soins de qualité aux personnes en souffrance ou en demande. Mais désormais le dispositif de soin est victime de son succès. Il légitime l'incarcération de personnes souffrant de pathologies mentales graves. Et il soulage la communauté psychiatrique et la société de la charge que constituent le suivi et l'accompagnement des patients difficiles à soigner. A cette théorie inclusive a répondu une pratique d'exclusion avec un surcroît de peine par réflexe de défense sociale face à la folie, porteuse d'incompréhensible et surtout de danger.

Enfin, les parlementaires s'inquiéteront du nombre de suicides, qui reste sept fois supérieur à celui observé en population générale. Le phénomène est complexe, rencontre de détresses individuelles et de circonstances douloureuses, générant une perte du sentiment d'humanité et d'espoir. A cet égard, il faudrait interroger la structuration même de l'institution pénitentiaire et judiciaire, qui ne parvient pas à faire des détenus des interlocuteurs dont la parole a du sens et auxquels on peut faire confiance ; en cela, elle ne leur permet pas de se sentir des hommes qui comptent encore et restent debout.

Peut-être le succès du film de Jacques Audiard, Un prophète, et les débats parlementaires stimuleront-ils l'intérêt du public pour l'univers carcéral, non pour se satisfaire de "croire savoir" mais pour appeler aux changements nécessaires et possibles auxquels aspirent citoyens sous main de justice et professionnels de terrain.

Catherine Paulet, psychiatre et présidente de l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire.