Les ambiguïtés et les dangers du revenu universel

La primaire du Parti socialiste (PS), avec la discussion du programme de Benoît Hamon, a été l’occasion de débattre d’une idée relativement ancienne : le revenu universel. Il faut entendre par là un revenu versé à tous (puisqu’universel), en principe de la naissance au décès. Ce revenu serait accordé sans qu’aucune condition ne soit posée ni aucune contrepartie exigée. Il devrait être calculé de façon à permettre à tous de vivre.

Parmi les avantages souvent mentionnés du revenu universel figure la simplification qu’il amènerait en se substituant à nombre de dispositifs d’aide sociale qui sont, eux, conditionnels (revenu, patrimoine, situation familiale, âge, activité…), et impliquent donc un contrôle avec des coûts correspondants.

En fait, les propositions de revenu universel faites ces dernières années, y compris lors de la précampagne présidentielle, ne correspondent pas tout à fait à cette description.

En premier lieu, il y a rarement des propositions visant à verser un revenu aux personnes mineures, ce qui amène à se poser la question de la prise en compte du revenu auquel auraient droit les personnes ayant des enfants à charge, ou celle de la possibilité qu’auraient les mineurs de vivre indépendamment du soutien financier de leur famille. Dans un cas, c’est la question de la conditionnalité du revenu qui se pose : les personnes avec enfants à charge toucheront un revenu différent des personnes sans enfant. Dans l’autre cas, c’est l’objectif même du revenu universel, permettre de vivre indépendamment, qui est remis en cause.

L’autre question qui agite les débats est celle du coût de la mesure. Si on multiplie un revenu de base, donc modeste, par exemple de l’ordre de 750 euros par mois, par le nombre de personnes majeures (51 millions), on obtient un budget annuel de l’ordre de 20 % du PIB. On conçoit alors que cet ordre de grandeur ramène vers une conditionnalité plus ou moins stricte du dispositif. Si on limite la population concernée aux 18-25 ans, c’est-à-dire une population pas ou peu couverte par le RSA, on tombe à un budget de l’ordre de 2,5 % du PIB, ce qui n’est pas négligeable, mais tout de même plus envisageable.

Mais on obtiendrait ainsi une aide assez peu différente de l’extension du RSA à l’ensemble des 18-25 ans ou même de l’allocation chômage - aide sociale allemande connue sous le nom de «Hartz IV» (409 euros pour un célibataire mais le loyer et le chauffage s’ajoutent à cette somme).

Le revenu universel serait alors véritablement un revenu de base, permettant de (sur)vivre dans la pauvreté. Il serait assez éloigné de certaines ambitions qui voient en lui un moyen pour les jeunes de financer leurs études par exemple.

L’autre aspect du revenu «universel» est la mesure dans laquelle il viendrait se substituer aux dispositifs de protection sociale existants. Il y a aussi dans l’idée de revenu universel (ou de base) une ambition libérale de remplacer la protection sociale par une somme versée une fois pour toutes, et qu’on n’y revienne plus. Certaines propositions qui circulent actuellement évoquent ainsi la suppression des allocations chômage et retraite, et même de l’assurance maladie.

Dans ces conditions, le revenu de base, qui devrait alors vraiment devenir universel, serait l’instrument du démantèlement de l’Etat social. Les personnes dont les revenus sont supérieurs au revenu de base ne se contenteraient probablement pas de la somme en question pour leur retraite. Ceci ouvrirait un marché pour les assurances privées, qui auraient en plus le marché de l’assurance maladie s’ouvrant à elles.

La logique du revenu universel dans sa version libérale est d’isoler une population considérée comme inapte à s’insérer dans une économie (une société) régie par des mécanismes de marché, pour lui accorder chichement les moyens de son existence à l’exclusion de tout autre droit.

Evidemment, toutes les propositions de revenu universel qui circulent ne se rallient pas à cette logique. Certaines conçoivent le revenu en question comme un socle de revenu auquel viendraient s’ajouter les autres prestations sociales.

Mais outre la question de l’utilité d’un tel dispositif dans la perspective d’un Etat social qui serait suffisamment développé, il y a celle de son évolution. Qui peut être certain qu’un revenu conçu initialement comme accompagnant la «fin du travail» et libérant l’individu de l’obligation de s’insérer dans les mécanismes de marché ne se transformerait pas, au gré des alternances politiques, en un revenu de subsistance pour populations marginalisées ?

Bruno Amable, professeur à l’université de Genève.

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