Les armes conventionnelles prolifèrent !

Les armes conventionnelles provoquent chaque année plus de morts que les armes biologiques, chimiques ou nucléaires. Des centaines de milliers d'hommes et de femmes meurent chaque année suite à des violences qui mettent en jeu des armes conventionnelles ; il s'agit d'un véritable problème, qui concerne la souffrance et la mort de nombreux innocents.

En parallèle à d'autres initiatives visant à limiter le trafic illégal des armes de petit calibre ou à éliminer des catégories d'armes spécifiques, telles que les mines antipersonnel ou les armes à sous-munitions, la conclusion d'un traité international en vue de réglementer le commerce des armes permettrait d'en finir avec cette réalité épouvantable qui affecte spécialement la vie des populations les plus pauvres, et tout particulièrement celle des femmes et des enfants.

Au cours des derniers mois, l'agenda nucléaire a dominé l'actualité internationale. Le moment est venu d'aborder le problème de l'utilisation irresponsable ou illégitime de l'armement conventionnel de tout type. Le 12 juillet a débuté à New York une négociation internationale sur ce sujet.

Le simple fait que l'on cherche la définition d'une utilisation "irresponsable", "illégitime" ou "indésirable" témoigne de la complexité de ce problème de gouvernance mondiale. Ce traité n'a pas pour objectif l'interdiction du commerce des armes, ni leur production, mais il vise l'examen préalable et minutieux de toute opération d'exportation et d'importation, afin d'empêcher qu'aucune ne porte atteinte à la sécurité et à la stabilité internationales.

Pas question donc de porter préjudice au droit légitime des Etats à se défendre, tel qu'il est reconnu par la Charte des Nations unies, ni d'imposer des limites à la protection des populations civiles lors d'opérations humanitaires ou de maintien de la paix. Il s'agit de faire en sorte que les armes soient mises au service de la paix ; il s'agit aussi d'éviter toute utilisation contraires aux droits de l'homme ; il s'agit enfin, dans le cadre du commerce international, de faire en sorte qu'aucune ne puisse tomber entre les mains de délinquants, de groupes terroristes, fût-ce par le biais de zones instables ou de pays incapables de contrôler l'utilisation finale des armes.

L'Espagne dispose déjà d'un mécanisme qui permet d'analyser au cas par cas chaque exportation de matériel de défense. Notre législation va bien au-delà du contrôle des exportations d'armes de sport ou de matériel susceptible d'être utilisé pour appliquer la peine de mort, la torture, ou pour infliger des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, bien que de nombreux Etats comme l'Espagne surveillent leurs exportations, il n'a pas toujours été possible d'éviter que les armes ne soient utilisées dans des circonstances douteuses. Il est donc nécessaire de compléter les législations nationales ou régionales par une réglementation internationale. Les standards d'exigence requis en la matière doivent être élevés et généralisés, et être en mesure de fixer des règles à ce commerce en établissant des critères homogènes et acceptés par les grands exportateurs et importateurs.

Cette question apparaît d'autant plus urgente que, paradoxalement, au cours des dernières années, les échanges internationaux de matériel militaire n'ont cessé de croître, après une diminution enregistrée après la fin de la guerre froide. Tout comme le reste de la communauté internationale, il nous faudra faire face à la grande contradiction que représente cette hausse du volume des transactions qui peut avoir des conséquences tragique sur le développement et sur l'éradication de la pauvreté.

CRÉER UN MONDE PLUS SÛR

En outre, en raison de la délocalisation de la production, de la fabrication par composants ou de l'apparition de pays exportateurs disposant de législations plus laxistes et d'intermédiaires privés, le commerce non réglementé fait peser un risque grandissant sur notre propre sécurité. Face à cette réalité, il est indispensable d'établir les conditions d'un commerce international responsable, le seul et unique commerce d'armes envisageable pour le XXIe siècle.

L'initiative prise par l'ONU de l'organisation d'une conférence en 2012 signifie que la communauté internationale est consciente de ses responsabilités, et qu'elle s'est fixé pour objectif d'atteindre un accord juridiquement contraignant au cours des prochaines années. L'Espagne a toujours été parmi les pays les plus actifs dans le cadre de cette initiative, et nous continuerons à l'être tout au long des négociations qui s'engagent et qui devraient se concrétiser lors de cette conférence.

Convenir des conditions d'un tel traité représente un processus difficile, tant dans le domaine technique que politique; mais un tel processus n'est pas voué à l'échec. L'engagement de la Charte des Nations unies selon lequel il faut "favoriser l'établissement et le maintien de la paix et de la sécurité internationales en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde" doit nous servir de guide.

L'initiative bénéficie du soutien d'une grande majorité des Etats qui ont voté en faveur de cette résolution, ainsi que de l'appui de nombreux secteurs de la société civile. L'Union européenne est fermement impliquée dans l'élaboration d'un traité établissant des critères exigeants, et l'Espagne a assumé la responsabilité de renforcer et d'approfondir cet engagement européen.

Depuis des dizaines d'années, la communauté internationale tente d'aborder la question du commerce des armes. Les progrès réalisés dans le cadre de l'agenda de désarmement nucléaire, comme le résultat positif de la Conférence d'examen du traité de non-prolifération nucléaire qui a eu lieu récemment, ou comme la nouvelle entente entre deux grandes puissances telles que les Etats-Unis et la Russie, montrent que l'ambition qui consiste à œuvrer pour un monde sans armes nucléaires n'est plus l'utopie d'un groupe d'idéalistes, mais bien une perspective réaliste.

La réglementation du commerce des armes s'avère tout autant légitime et réaliste. Le résultat en sera les conditions de vie de millions d'êtres humains, contribuant ainsi à créer un monde plus sûr. Depuis qu'en 2006 le secrétaire général des Nations unies a décidé d'arriver à une réglementation internationale et d'étudier la viabilité et le contenu d'un traité portant sur ce sujet, le processus s'est avéré imparable.

L'Espagne proposera que ce traité aborde exhaustivement toutes les questions qui y sont liées, depuis celles de l'armement et des équipements, jusqu'aux opérations qui se déroulent le cadre du commerce mondial. Nous proposerons également d'établir des mécanismes internationaux permettant de contrôler efficacement l'application du traité.

"Tristes armes, s'il ne s'agit pas des mots", a écrit le poète et dramaturge espagnol Miguel Hernandez (1910-1942). Tristes, elles le seront, si nous ne les mettons pas au service de la paix.

Miguel Angel Moratinos, ministre espagnol des affaires étrangères.