Les armes de la BD pour lutter contre la «post-vérité» en Syrie

On assiste depuis plusieurs mois à un débat renouvelé sur la qualité de la couverture médiatique de la guerre en Syrie. Partiale, biaisée, partisane, «droit-de-l’hommiste», elle aurait conduit l’opinion publique française à se leurrer sur la situation, et aurait invité les cancres du Quai d’Orsay à se fourvoyer gravement.

Alors que la bataille d’Alep se déroulait, un autre conflit se jouait dans nos médias : celui pour nous faire croire que «la vérité» serait «la principale victime de cette guerre». Quelle indécence, alors que les chiffres sont là : quelque 500 000 morts et disparus, plus de 10 millions de déplacés et réfugiés. S’il y a bien faillite de l’Occident dans ce conflit, elle est morale et elle résulte de l’incapacité que nous avons eue à le prévenir.

De grâce, n’ajoutons pas la vérité aux victimes, déjà trop nombreuses, de la guerre en Syrie. Comment informer ? A cela, pas de secret. Que l’on soit journaliste, chercheur, historien, documentariste ou diplomate : il faut des sources. Revenir toujours aux sources. A ceux qui ont vécu l’histoire et qui peuvent témoigner. La Syrie crève depuis six ans de tous ceux qui kidnappent la parole des Syriens, qui s’identifient dans telle cause ou communauté et fabriquent ensuite un discours pour confirmer leurs a priori.

Haytham al-Aswad, le héros de Haytham, une jeunesse syrienne, est un jeune Syrien de Deraa, dans le sud du pays, près de la frontière jordanienne. Bien sûr, il n’est pas comme les autres (mais qui viendrait prétendre qu’il existe un «Syrien moyen»?) : il est le fils d’un opposant historique à la dictature des Al-Assad. Et il est brillant, ce qui lui a permis une intégration en France remarquable. Mais ce qu’il nous raconte de sa jeunesse, à la première personne et avec une grande fraîcheur, casse toutes les propagandes.

On découvre, à travers son parcours, les tâtonnements d’un enfant confronté à une réalité politique extrême. La dictature d’abord, dont il prend conscience qu’elle n’est pas un état normal, puis la révolte. Alors que son père est le tout premier «reporter citoyen» de la révolution syrienne, le jeune homme, 14 ans à l’époque, voit tomber les premiers manifestants sous les balles de la répression.

Et ensuite ? Les menaces, la clandestinité, l’arrestation de sa mère, l’exil. Et le regard presque candide d’un adolescent, descendu de sa province syrienne, qui découvre Paris, son RER, sa tour Eiffel et ses fast-foods. Qui découvre aussi, avant la grande crise des réfugiés de 2015, les écueils rencontrés par les réfugiés. Qui se bat, enfin, pour ne pas être cantonné dans les recoins du système scolaire, mais pour pouvoir faire valoir ses talents, là où beaucoup de jeunes étrangers, parce qu’ils maîtrisent mal la langue, sont simplement rangés parmi les mauvais élèves.

Bien sûr, j’aurais pu narrer l’histoire de Haytham dans un livre «classique». Mais la BD (bande dessinée) offre une formidable économie de mots. La précision toute documentaire des dessins de Kyungeun Park plonge le lecteur dans l’environnement syrien et permet d’évoquer, avec légèreté, à la fois une enfance syrienne, la construction «à la dure» d’une conscience politique dans les tourbillons d’une révolution et le parcours courageux d’une famille réfugiée en France.

La force de la BD, c’est sa capacité à restituer une ambiance. Comment raconter en une page le stress d’un interrogatoire ? Et même en deux vignettes la torture ? Des gros plans, suggestifs mais dignes. Des profils, des ombres. La sueur sur le front et la peur dans les yeux. En quelques traits, l’ambiance est installée. Il aurait, sinon, fallu de longues descriptions ou sombrer dans le voyeurisme.

La BD est aussi remarquablement accessible. Elle reste un livre, donc un objet qu’on s’approprie, auquel on dicte son rythme, qu’on dévore ou qu’on picore, dans lequel on revient avec joie. Mais il est aussi ouvert à tout public. Là où un jeune lecteur, ou quelqu’un qui ne lit pas avec aisance, sera rebuté face à un gros pavé plein de mots, la BD offre le dessin en support.

Le savoir pour tous ! C’est important pour une fiction, mais aussi pour un ouvrage de reportage ou documentaire. Après, il se trouvera toujours des gens pour crier à la propagande. Pour accuser de désinformation. Pour décréter que la révolution syrienne était dès le départ illégitime, violente et radicale. Hurler d’indignation que les réfugiés sont des privilégiés attirés par nos allocations. L’histoire de Haytham est la meilleure arme pour les contredire. Parce que c’est un récit à la première personne. Un témoignage sans prétention. Parce qu’il ne fait pas de politique. Qu’il ne fait que se raconter et que la magie des bulles rend son récit splendide.

Nicolas Hénin, journaliste, scénariste de Haytham, une jeunesse syrienne

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