Les Assyriens, un peuple qu’on laisse mourir

Actuellement au Khabour, au nord-est de la Syrie, près de 300 Assyriens, des hommes, des femmes et des enfants, sont aux mains des jihadistes. Le temps s’est arrêté pour tout ce peuple car leur survie est en jeu. Jamais ils n’auraient imaginé que cent ans après avoir survécu à l’horreur de 1915, ils seraient à nouveau confrontés à leur possible disparition.

Volontairement, je n’utiliserai pas le mot de «chrétiens» parce que même si ce terme définit leur religion, il ne définit pas leur identité. Depuis trop longtemps, les médias ont inlassablement utilisé ce terme car dans cet «Orient compliqué», on préfère ne pas rechercher qui sont ces hommes et ces femmes qui crient dans une même langue, l’araméen, leur volonté de liberté.

Certes, ils portent plusieurs noms : Assyriens, Chaldéens, Syriaques, Araméens ; mais au final, il s’agit d’un seul et même peuple avec une identité commune assyrienne, une langue commune l’araméen, une région commune l’ancienne Mésopotamie. Et d’une histoire commune ensanglantée par les génocides dont ce peuple a été victime.

Et pourtant, on continue à les appeler les «chrétiens d’Orient». Pourquoi ? Pourquoi ce traitement médiatique ? Pourquoi ne le fait-on pas quand il s’agit des Kurdes, des Yézidis, des Arméniens ou encore les Tibétains ? Les Assyriens n’en valent-ils pas la peine ?

Aujourd’hui, un peuple disparaît et nous avons décidé de l’ignorer. Le temps leur est compté ! Dans vingt ans, nous n’en entendrons plus parler ! Dans vingt ans, seuls des photos, des vidéos et des musées pourront témoigner de cette grande histoire.

Savez-vous que les Assyriens sont les survivants du génocide de 1915 où 750 000 d’entre eux ont été massacrés dans un silence assourdissant ? Deux tiers de ce peuple ont été décimés ! Et on le perpétue en ne parlant que du génocide arménien !

Savez-vous que ces mêmes survivants ont survécu aux massacres de Simelé en Irak, où en 1933, 63 villages assyriens ont été rayés de la carte, la population avec, pourtant région sous mandat britannique ? Et on n’en a jamais parlé !

Ne savez-vous pas que pendant les dictatures baasistes, en Irak et en Syrie, tous les opposants, Assyriens inclus, ont été systématiquement assassinés par l’appareil étatique ? Parce que vous pensez qu’un ministre chrétien protège obligatoirement sa communauté en oubliant de dire que les ennemis de tels régimes n’ont pas de religion ?

Ne savez-vous pas que les Assyriens du Khabour, aux mains des jihadistes, sont les survivants de ces deux grands massacres ? Ils avaient trouvé un refuge en Syrie et voilà que le sort s’acharne encore sur eux ! Et on continue à nier leur existence et leur identité ! Car on oublie de dire que ceux d’Irak et de Syrie sont d’un seul et même peuple !

Ne savez-vous pas que les sculptures du musée de Mossoul, détruit par les islamistes il y a quelques jours, relatent l’histoire multimillénaire du peuple assyrien ? Mais on continue à ne pas faire de lien de cause à effet ! Les Assyriens, chrétiens, sont l’un des peuples originels de cette région. Leur trace dans le temps et l’espace est depuis un siècle marquée par le sang.

Les Assyriens s’affilient avec prestige à cette histoire par sa tradition, son artisanat, sa musique, sa culture. Dans la région, nul ne remet en cause cette descendance y compris les Kurdes et les Arabes, et on continue à le faire ! On continue à la nier !

Des hommes se meurent et nous les avons abandonnés. En oubliant qu’à travers leur combat se joue l’avenir de l’humanité. Ces Assyriens ont décidé de prendre part au combat avec leurs alliés kurdes mais le monde entier les a abandonnés ! Et on continue à les mépriser en rappelant qu’ils sont chrétiens avant d’être assyriens, laissant peser insidieusement un soit disant choc des civilisations ! Et une fois de plus on préfère parler de ceux qui veulent partir, certes une majorité, mais quelle autre alternative leur offre-t-on ? En leur donnant de visas, nous pensons sauver des vies, mais en réalité nous jouons le jeu des islamistes ?

Pourquoi soudain ce traitement de faveur que nous n’appliquons pas aux Maliens et aux Libyens qui ont subi pourtant les mêmes massacres par ces intégristes ? Pourquoi soudain ce traitement de faveur envers les chrétiens alors que tous les Syriens dans leur globalité sont victimes de ces mêmes fondamentalistes ?

Cette humanité que nous laissons disparaître, n’est-elle pas la nôtre ? Cette mosaïque culturelle et religieuse, en Irak et en Syrie, comme celle du Mali ou en Libye, n’est-elle pas la nôtre ? N’est-elle pas celle qui existe déjà dans notre pays, en France ? Cette richesse que nous défendons chez nous en France, pourquoi acceptons-nous qu’elle disparaisse ailleurs ? Comment pouvons-nous continuer à croire que ce qui se passe ailleurs n’aura pas des conséquences chez nous ? Là où est née la civilisation, des hommes se sacrifient pour qu’elle ne disparaisse pas à tout jamais.

Meryem Aziz, activiste assyrienne

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