Les attentats du 13 novembre relèvent du crime contre l’humanité !

Après l’épouvantable tuerie du 13 novembre, réseaux sociaux et médias généralistes ont raison de publier les noms, les photos et les biographies des victimes décédées. Cela permet à chacune et chacun de mieux saisir la tragédie de ces vies. C’est aussi pourquoi il est impératif de nommer correctement et précisément les actes commis. Sur ce plan, on ne peut que marquer de fortes réserves vis-à-vis des « éléments de langage » (pour reprendre le jargon communicationnel) les plus couramment utilisés depuis ce funeste vendredi. Qu’il s’agisse du terme si galvaudé de « terrorisme » ou de la polémique sur le fait que la France serait ou non en « guerre ». Certes, ce mot dans une société européenne en paix depuis plusieurs générations ne va pas de soi, et suscite des réticences. Cependant, à partir du moment où le pouvoir politique, soutenu par un large consensus transpartisan, y recourt et où aussi l’Etat emploie toute la palette de moyens à sa disposition y compris militaires, pour juguler et combattre la menace, le pays se trouve bien dans pareille situation. Pour autant, la sémantique conflictuelle ne doit pas occulter la réelle nature de ce qui est advenu.

Contrairement ainsi aux expressions souvent employées de « fusillades » ou « scènes de guerre », il ne s’agit nullement de combats. Les commandos djihadistes n’ont pas affronté des adversaires armés. Ils se sont livrés à des massacres de masse de façon méthodique, délibérée et indiscriminée. Les morts du 13 novembre ont été fusillés pour ce qu’ils étaient. Là encore, les digressions socio-anthropologiques sur les supposées « motivations » ou la mentalité des porteurs de fusils d’assaut et de ceintures explosives sonnent creux. C’est refuser de voir que ces derniers sont animés par des desseins idéologiques. Car l’islamisme radical est bien une idéologie de type totalitaire, comme d’autres avant elle, au XXe siècle. Le fait qu’elle soit à base religieuse n’y change rien.

De ce point de vue, le recours à ce mode opératoire n’est pas sans similitude avec des précédents historiques. Ainsi en va-t-il de ce que l’on appelle la « Shoah par balles », c’est-à-dire le meurtre par fusillades en 1941-1942 par les SS de près de 1,5 millions de juifs et de Roms en Europe de l’Est. La même logique de massacre de masse avec la négation de l’humanité de la victime y était à l’œuvre. Ou de l’élimination physique par les Khmers rouges de 1974 à 1979 de tous ceux n’appartenant pas au « peuple nouveau », tel que fantasmé par les dirigeants communistes cambodgiens. Ou encore, au Rwanda en 1994 de l’assassinat systématique par les tueurs du Hutu Power de près de 800 000 hommes, femmes et enfants – essentiellement tutsis – au nom de la « purification ethnique ». Dans ces trois cas les exécutants étaient mus par une idéologie structurant leurs crimes et les en absolvant, puisqu’ils tuaient pour le « Bien ». Idéologie raciste pour les premiers, marxiste-léniniste quant aux seconds, ethniste s’agissant des troisièmes.

Ils n’étaient ni fous, ni irrationnels, ni drogués. Le fait que les djihadistes aient possiblement absorbé des euphorisants avant de passer à l’acte ne signifie rien. Avant ou après avoir accompli leur sinistre besogne, les nazis, les bourreaux de l’Angkar ou les miliciens Interahamwe rwandais ne lésinaient pas sur la consommation d’alcools en tous genres.

Nous sommes donc bien en présence le 13 novembre d’atrocités de masses. Lesquelles sont qualifiables probablement de crimes contre l’humanité. Il faut le dire et le comprendre pour trois raisons. Honorer la mémoire des morts. Faciliter les mécanismes de résilience chez les survivants. Adapter et dimensionner la riposte. Car ne pas comprendre la nature de la violence exercée serait faire le jeu de tueurs.

Ensuite, c’est la société civile qui a été directement ciblée. D’où aussi sa réaction spontanée à travers les réseaux sociaux, les fleurs, les bougies et les rassemblements spontanés. Toutefois, aujourd’hui cette solidarité instinctive ne suffit plus. Il faut aller plus loin de sorte que les citoyens le souhaitant traduisent leur engagement en apportant leur contribution directe à la réaction du corps social et des institutions. Tout en exerçant une vigilance critique – portée par une parole forte – face à toute remise en cause de l’Etat de droit, au nom de priorités uniquement sécuritaires.

De ce point de vue, l’idée de création d’une « Garde Nationale » a rapidement émergé, et été reprise à son compte le président de la République dans son discours à Versailles le 16 novembre. Mais elle a été peu discutée, alors que pareille structure a déjà existé durant presque un siècle. Il n’est pas anodin que ce soit à la Révolution française qu’en revienne la paternité. Afin de traduire justement la participation à la défense de la République des citoyens. Les circonstances historiques et les affrontements politiques intérieurs du XIXe siècle ont fait qu’après la Commune en 1871 elle fut supprimée.

En recréer une dans le contexte contemporain est donc une mesure positive. Cependant, c’est sa composition qui fera toute la différence. On s’orienterait vers un appel à des réservistes, anciens des forces de défense. Or, cette approche purement techniciste est critiquable, car c’est de l’intérieur de la société civile que ce projet devrait être porté, afin qu’il mobilise le maximum de nos concitoyens dans toute la France. Certes les modalités pratiques de la constitution d’une Garde Nationale ne seraient pas simples si on y mêle réservistes et citoyens volontaires, en termes d’encadrement ou d’accès aux armes. Mais éluder la question au profit d’une approche purement technique ne serait pas à la hauteur de l’épreuve.

Car c’est en qualifiant exactement le crime, ainsi qu’en imaginant de nouvelles modalités d’y réagir et de prévenir sa répétition que la société montrera sa force, sa détermination, et sa capacité à vaincre rapidement les ennemis de son mode de vie, de sa démocratie et de ses libertés.

Philippe Ryfman est professeur et chercheur associé honoraire au Département de science politique de la Sorbonne. Il est avocat et chercheur sur les questions humanitaires et non gouvernementales.

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