"Humiliation pour la République", selon la commission d'enquête du Sénat de 2000, "honte pour la République", selon Nicolas Sarkozy, la situation de nos prisons fait l'objet d'un diagnostic aussi calamiteux que consensuel. Et ce ne sont pas les accusations récentes de violences dans les maisons d'arrêt de Fleury-Mérogis ou de Valenciennes ni la désespérante multiplication des suicides qui pourront modérer notre jugement.
Et pourtant la vérité oblige à rappeler combien la prison a changé en quelques décennies : parc pénitentiaire largement renouvelé ; loi de 1994 confiant au service public hospitalier la prise en charge de la santé des détenus ; ouverture vers l'extérieur avec les visiteurs de prison, les délégués du médiateur et les parlementaires ; qualité d'une formation des personnels intégrant la culture des droits de l'homme ; loi de 2007 créant un contrôleur général des lieux de privation de liberté...
Ces progrès substantiels sont remis en cause par l'augmentation du nombre des détenus et la part croissante au sein de la population pénale de personnes souffrant de lourds troubles mentaux. C'est de notre capacité à résoudre ces deux problèmes que dépendent leur avenir, et au-delà la qualité de notre démocratie si l'on pense, comme Albert Camus, qu'"une société se juge à l'état de ses prisons".
De 2001 à 2009, le nombre de détenus est passé de 49 000 à 64 000, et l'administration pénitentiaire pronostiquait il n'y a pas si longtemps 80 000 détenus en 2017. Cette éventualité n'est pas acceptable. Elle signifierait une surpopulation accrue alors que le taux d'occupation des maisons d'arrêt dépasse en moyenne 140 % avec des pointes à 200 et parfois 300 %. Derrière la sécheresse de ces chiffres se cachent promiscuité, violence et manque d'hygiène. Une cellule de 12 m2 partagée par trois détenus avec un cabinet d'aisances non ventilé et dépourvu de cloisonnement, telle est encore la réalité dans de nombreuses maisons d'arrêt en attente de rénovation.
Avec l'accroissement des capacités des établissements lié au programme Perben, nous disposerons d'ici à 2012 d'environ 64 000 places, c'est-à-dire d'un ratio de 100 places pour 100 000 habitants. Il s'agit d'une moyenne européenne satisfaisante. Certains pays, comme l'Angleterre ou l'Espagne, connaissent des taux de détention supérieurs ; d'autres, comme les pays scandinaves, des taux bien inférieurs.
Tout doit être mis en oeuvre pour que l'augmentation des capacités d'accueil ne s'accompagne pas de l'accroissement du nombre des détenus, sinon nous serons contraints à de nouveaux programmes de construction et à consacrer l'essentiel des moyens financiers au recrutement des personnels indispensables à leur fonctionnement. Le projet de loi pénitentiaire, tel qu'il a été voté par le Sénat, s'oriente vers un autre choix, celui du développement des aménagements de peine et des alternatives à l'incarcération, faisant de la peine d'emprisonnement ferme en matière correctionnelle un ultime recours. Si la réussite de cette politique impose le recrutement de nombreux conseillers d'insertion et de probation, elle permettra à la fois de limiter la création d'emplois de personnels de surveillance et de les affecter au renforcement des équipes.
Ainsi les surveillants pourront se consacrer à la fois à la sécurité et à la réinsertion, ce qui transformera la qualité de leurs relations avec les détenus. Encore faudra-t-il expliquer que l'aménagement de peine, loin d'être une faveur accordée aux condamnés au mépris des risques encourus par la société, leur impose au contraire des contraintes prolongées et limite les cas de récidive.
Tous ceux qui visitent les prisons sont frappés par le nombre croissant de personnes atteintes de troubles mentaux qu'ils y rencontrent. Pour bon nombre d'entre elles, la prison n'a aucun sens, et elles errent en milieu carcéral, compliquent la vie de leurs codétenus et du personnel pénitentiaire sans être soignées de manière satisfaisante. Ce paradoxe s'explique par deux faits. D'une part, le législateur a permis, dans l'hypothèse où le trouble mental a seulement altéré - et non aboli - le discernement, que l'auteur des faits reste punissable. D'autre part, les évolutions de la psychiatrie ont entraîné une réduction drastique du nombre des lits et de la durée des séjours hospitaliers.
Dans ces conditions, les jurys d'assises, estimant que seule la prison peut désormais protéger la société des personnes dangereuses atteintes de troubles mentaux, ne prononcent que très peu d'acquittements pour irresponsabilité pénale. En outre l'altération du discernement, qui devrait à tout le moins constituer une circonstance atténuante, entraîne au contraire un allongement de la peine. Lorsque l'on connaît le taux élevé de suicides en hôpital psychiatrique, on imagine la fragilité de cette population en milieu carcéral. Une initiative commune à la justice et à la santé s'impose sur ce point, dans les meilleurs délais.
La loi pénitentiaire aborde bien d'autres aspects : obligation d'activité avec pour corollaire une aide en nature ou en numéraire, respect des relations familiales, limitation des fouilles, ouverture des commissions de discipline à des personnes extérieures à l'administration, évaluation pour tous les entrants en prison, réaffirmation du principe de l'encellulement individuel...
Elle donne au Parlement la maîtrise du droit de la prison qui relève pour l'essentiel de circulaires. Mais aucune avancée décisive, aucune rupture avec le passé ne défiera le temps si ne sont pas d'abord traitées la surpopulation carcérale et la maladie mentale. Enfin, si l'on veut réconcilier les Français avec les prisons de la République, encore faut-il qu'ils sachent ce qui se passe derrière les murs. L'administration pénitentiaire doit renoncer à sa culture du secret pour jouer la transparence. La presse doit pouvoir entrer dans les prisons pour informer.
La prison n'est ni de droite ni de gauche. Les sénateurs l'ont bien compris en améliorant de manière consensuelle le projet de loi pénitentiaire afin de construire un texte fondateur dans l'intérêt des victimes comme des détenus et de la société.
Jean-René Lecerf, sénateur (UMP) du Nord et rapporteur du projet de loi pénitentiaire.