Les avantages d’un revenu universel européen

Depuis la crise financière mondiale de 2007, la plupart des pays riches sont confrontés à une augmentation de la pauvreté. Avoir un emploi ne protège plus de la pauvreté. En Europe, les travailleurs pauvres représentent plus de 9 % de la population active. En France, ils sont plus d’un million selon l’Observatoire des inégalités.

Face à un phénomène qui parait difficile à endiguer avec les moyens actuels de la politique sociale, une idée ancienne, qui était déjà évoquée par les philosophes Thomas More (1478-1535) et Thomas Paine (1737-1809) au XVIe et au XVIIIe siècle, a ressurgi dans le débat public, celle du revenu universel.

Permettre à chacun d’être l’architecte de sa vie

Il s’agit d’un revenu, en théorie de plusieurs centaines d’euros, distribué sans condition à l’ensemble des citoyens et qui est cumulable avec d’autres revenus. Un tel système a pour vocation de remplacer les allocations actuelles perçues par les chômeurs. Une modulation à partir du seuil de base est envisagée pour s’adapter à la situation financière de chacun.

Plusieurs pays et collectivités locales prévoient une première expérimentation : la Finlande en 2017, le Québec, Utrecht aux Pays-Bas ou Lausanne en Suisse. En raison d’un taux de chômage des moins de 25 ans qui est de cinq points supérieur à celui de la moyenne européenne, la France s’intéresse à ce dispositif qui a été plébiscité par le rapport du Conseil national du numérique remis en début d’année. Le revenu universel constitue une réponse immédiate à la crise mais il comporte aussi trois autres avantages.

Le premier avantage est qu’il permet à chacun d’être l’architecte de sa vie. Le travail salarié ne sera plus une finalité en soi, chaque citoyen pourra choisir librement de travailler en fonction de son projet de vie. Ceux qui feront un choix différent ne seront pas stigmatisés socialement car ils pourront consacrer leur temps à des activités utiles pour l’intérêt général ou participer au développement de l’économie collaborative.

Un filet de sécurité pour les plus fragiles

Le second avantage du revenu minimum universel est qu’il permet d’apporter une sécurité matérielle à tous dans un monde en plein bouleversement. Nos économies développées sont en transition. L’ubérisation, la robotisation, dont les conséquences sur l’emploi sont méconnues, l’essor de l’entrepreneuriat, qui implique de repenser le rapport au travail, sont les principales manifestations de la quatrième vague de la révolution industrielle.

Nous sommes à une époque où le progrès technique n’a jamais été aussi rapide et les grappes d’innovation nombreuses mais, dans le même temps, la croissance économique est faible et la productivité en déclin. Les écarts de richesse entre ceux qui détiennent le capital et ceux qui n’ont que leur force de travail à proposer s’accroissent.

C’est la première fois dans l’histoire contemporaine que la nouvelle génération considère que son niveau de vie sera moins bon que celui de la précédente. Les plus pessimistes parlent de stagnation séculaire pour qualifier cette période. D’autres rétorquent que nos outils statistiques ne sont pas adaptés pour mesurer correctement les évolutions au sein d’une économie de service et soulignent que les innovations mettent généralement des décennies pour avoir un impact significatif sur l’économie réelle.

Les changements structurels qui s’opèrent auront des conséquences imprévisibles sur l’emploi, la croissance et nos modes de vie mais il est certain, à l’instar des précédentes révolutions industrielles, qu’ils s’accompagneront dans un premier temps d’une précarisation des parcours de vie si l’Etat ne met pas en place un filet de sécurité pour protéger les plus fragiles.

Pour un nouveau projet commun mobilisateur

Le troisième avantage du revenu universel est qu’il pourrait permettre la relance de la construction européenne au moment même où l’Union européenne (UE) cherche un nouveau projet commun mobilisateur qui soit porteur de valeurs positives, comme le fut l’euro au cours des années 1990. Un traité refondateur pour l’UE est indispensable. Il doit s’articuler autour de mesures qui puissent réactiver le rêve européen et réduire le fossé grandissant entre les peuples et l’UE qui a commencé à se creuser à partir du Traité de Maastricht en 1993.

Transcendant les clivages politiques traditionnels, le revenu universel pourrait être d’abord mis en place sur la base du volontariat par quelques pays pilotes, dont la France, avant qu’il ne soit élargi à l’ensemble de l’Union. La réussite de ce dispositif pourrait favoriser un bond en avant dans l’approfondissement de l’UE et aboutir à une convergence réelle des politiques économiques et sociales.

Toutefois, l’adoption à grande échelle d’un revenu universel se heurte à deux objections principales : le coût d’une telle mesure est prohibitif et elle pourrait dissuader les bénéficiaires de travailler.

La première objection n’est pas valide en raison de la richesse des pays développés alors que la deuxième repose sur une méconnaissance évidente du chômage comme fait social. On n’est pas chômeur volontairement. Le revenu universel répond aux changements socio-économiques rapides auxquels font face nos sociétés modernes et à la nécessité de relancer le grand projet européen qui a été complètement stoppé depuis la crise financière mondiale.

En le mettant en œuvre, l’Europe renouerait avec son histoire et avec sa longue tradition de promotion du progrès humain et social.

Christopher Dembik (Economiste) et Karim Bouamrane (Secrétaire national à l’innovation du Parti socialiste)

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