Les Balkans restent sous la menace d'une radicalisation islamiste

Cette année la Bosnie-Herzegovine à fait parler d'elle jusque dans une Europe qui pourtant l'oublie avec application. Les récentes inondations l'avaient remise en avant et l'attentat suicide commis par un bosnien en Irak ont rappelé à l'Union Européenne (UE) que ce pays est un proche voisin.

L'explosion des conflits au Moyen-Orient a ravivé les angoisses relatives à la radicalisation religieuse dans l'UE. Ces conflits ont accru le nombre des jeunes qui quittent leur pays et leur famille pour aller faire le djihad, et les gouvernements ignorent encore comment endiguer cette épidémie. Cherchant les pays et les mouvements susceptibles d'être à l'origine de ce phénomène, la communauté internationale s'est tournée vers les Balkans, réputés pour être un grand pourvoyeur de mercenaires mais aussi de fanatiques, prêts à commettre des attentats suicides à l'image du porteur de bombe bosnien auteur du récent attentat suicide irakien.

Quel est réellement la situation idéologique en Bosnie-Herzegovine ? Pays qui, à deux heures d‘avion de Paris, n'a pas d'Etat stable et échoue à sortir d'une situation de post-crise traînant en longueur ?

Selon un schéma classique des Etats morcelés, la population s'est regroupée en communautés qui, permettant des ré écriture subjectives et parcellaires de l'histoire, accouchent de générations souvent aussi nationalistes que désabusées. Ici, les perspectives d'avenir sont sombres et la paupérisation, exponentielle. En d'autre terme, le terreau est favorable à l'instauration d'une idéologie qui serait porteuse d'un idéal et d'une vision, quels qu'ils soient.

Cet environnement est d'autant plus propice que de nombreux jeunes sont issus des viols de guerre. De fait, les camps dédiés à l'épuration ethniques ont coexisté avec des « camps de viols », ces violences ayant été utilisés comme arme de guerre dont l'effet à long terme est que les enfants qui en sont nés font aujourd'hui partie d'une société qui en est d'autant plus déchirée.

Nombre de « débats d'idées » sont organisés où des mollah font office de chef d'orchestre : beaucoup d'entre eux ne sont pas bosniaques et ont été formés à l'étranger avec des financements provenant de fonds moyens-orientaux. Les idées présentées sont d'abord alléchantes puis, une fois les auditeurs appâtés, se radicalisent, s'éloignant de l'Islam traditionnellement modéré pratiqué dans les Balkans. Ici on à beau savoir que nombre de ces réunions ne sont que des vecteur de recrutement pour des mouvements extrémistes, elles n'en ont pas moins lieu même dans le centre touristique de Sarajevo.

Par ailleurs, la paupérisation augmentant, certaines femmes en situation de grande pauvreté acceptent de porter le voile contre une rente mensuelle de quelques marks convertibles. Dans les campagnes, cette monétisation s'étend aux hommes et au port de la barbe, du pantalon court et de la tunique traditionnellement porté par les radicaux. Les intégristes musulmans locaux, modifiant ainsi pour les jeunes le paysage dans lequel ils évoluent.

ON AIME L'ALCOOL ET LES JUPES COURTES

En parallèle, à la fin de la guerre, des moudjahidines venus pour aider au plus fort des combats se sont vus accordé la nationalité bosnienne. Si certaines naturalisations furent annulées, cette présence de groupes de fondamentalistes musulmans reste préoccupante.

De fait, certains musulmans de Bosnie ont adopté leur doctrine et se sont ralliés au mode de vie inspiré d'un intégrisme saoudien dit wahhabite qui n'existait pas dans le pays précedemment. Certains villages sont même devenus des bases de repos, parfois d'entraînement pour les djihadistes. Leur présence sur le territoire a permis d'augmenter leur influence sur les jeunes tentés par la radicalisation. Ces mêmes jeunes côtoient quotidiennement une corruption endémique, frappant tous les niveaux d'une société où l'appartenance à un groupe ( politique ou d'influence) alliée à la pratique ostensible de l'Islam, concourent à l'ascenseur social. Le glissement de la foi vers la radicalisation est très aisé…

En outre et depuis peu, ces jeunes djihadistes doivent se marier pour obtenir terres et habitations en remerciement de leur implication au combat. Aussi, des jeunes filles sont emmenées pour être épousées, permettant ainsi aux jeunes combattants de jouir de ces « butins de guerre » dans les pays où ils sont intervenus. Si quelques familles portent plainte cela n'empêche pas des chaînes de télévision de diffuser des interviews de fanatiques vantant l'amélioration de leur conditions de vie, conséquence de leur implication. Ces « témoignages » donnent ainsi une perspective tangible d'avenir à des jeunes qui n'en ont plus. Cependant, plusieurs raisons permettent à ce stade de relativiser cette radicalisation.

D'abord, les Balkans ont une longue histoire de confrontation et d'acceptation religieuse puisque les trois grandes religions y ont toujours coexisté et que la population musulmane a su y trouver sa place par une pratique modérée. Quand le Haut-Représentant de l'ONU faisait d'un bâtiment construit sur fonds moyen-orientaux le nouveau symbole de la Bosnie, la réaction fut immédiate : la presse a aussitôt rappelé, dans un éditorial assassin, que les Bosniens aiment la vie, l'alcool et les jupes courtes et qu'ils ne veulent pas se voir imposer un symbole aux antipodes de leurs aspirations et réalités.

Par ailleurs, la société d'après-guerre repose sur les femmes, dont nombre de veuves. Elles ont assuré seules la survie de leur famille et sont peu enclines à accepter qu'on limite leur liberté.

Enfin, suite à la tentative d'attentat contre l'ambassade américaine de 2011, les Etats-Unis ont fait pression sur le gouvernement, amenant le croate M. Komsic, président bosnien en exercice, à rappeler que, bien que n'étant pas à l'abri d'actes terroristes, les autorités locales étaient capables de garantir la sécurité des citoyens américains et de la représentation diplomatique. En ce sens, des interventions policières couronnées de succès dans des villages wahhabistes locaux ont encouragé le gouvernement.

Il reste que, si la paupérisation et l'implantation du radicalisme religieux devaient s'accroître, il est permis de craindre que l'intégrisme augmente de façon exponentielle. Si l'UE est très présente sur la zone elle devrait, dans l'intérêt de cet Etat mais aussi dans celui de sa propre lutte contre la radicalisation de l'islam, consentir un effort particulier pour endiguer l'appauvrissement des populations qui en constitue le terreau le plus fertile.

Par Christine Dugoin-Clément, Chercheur à l'Institut prospective et sécurité en Europe.

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