Les banques européennes recouvrent leur rôle de moteur

Juin 2012, un éclatement de la zone euro semble possible. Les marchés attribuent un coût de financement à chaque Etat selon ses fondamentaux économiques. Pour aider les banques européennes à se financer, la BCE consent deux prêts successifs (LTRO) de plus de 1000 milliards d’euros au total. En dépit de cette action, craignant pour leurs avoirs, les déposants des banques de la périphérie en transfèrent une partie vers l’Allemagne. Le surplus du système bancaire allemand envers le reste de la zone atteint 751 milliards d’euros en août 2012, contre 13 milliards en janvier 2007.

Le bilan du secteur bancaire européen passe de 77 milliards d’euros de bénéfices en 2008 à 13 milliards de pertes en 2012. En contraction dès juin 2012, la croissance du crédit bancaire en zone euro atteindra son creux en novembre 2013, à –3,8%.

La déclaration de Mario Draghi du 26 juillet 2012 marque un tournant: «La BCE est prête à faire tout ce qu’il faut pour préserver l’euro. Et, croyez-moi, cela sera suffisant.» Sur les douze mois qui suivent, la possibilité d’un éclatement de la zone euro se dissipe.
Les taux à dix ans de la Grèce, de l’Espagne, du Portugal et de l’Italie s’effondrent respectivement à 10, 4,6, 6,3 et 4,4%. Les déposants de la périphérie rapatrient une partie de leurs avoirs: en un an, les dépôts bancaires espagnols progressent de 61 à 896 milliards d’euros.

Les rendements obligataires élevés et les valorisations basses des marchés actions de la périphérie attirent les investisseurs internationaux. L’indice Euro Stoxx 600 progresse de 14% en 2012, puis de 17% en 2013. Le coût de financement des Etats et des entreprises du secteur privé baisse. Le taux à cinq ans des sociétés financières européennes Investment Grade passe de 3,35 à 1,83%.

Dans cet environnement favorable, pour respecter les nouvelles réglementations en matière de liquidités et de fonds propres et faire face à leurs échéances, les banques de la zone euro émettent pour plus de 100 milliards d’euros de titres entre 2013 et octobre 2014. L’examen de la qualité des actifs des banques (Asset Quality Review) de la BCE confirme que la presque totalité des établissements bancaires de la zone est suffisamment capitalisée.

Pour couronner le tout, le 22 janvier 2015, Mario Draghi annonce un assouplissement quantitatif (QE) de 60 milliards d’euros par mois réparti sur 18 mois. Les banques commerciales dégageront ainsi des plus-values importantes lors du rachat d’obligations souveraines, qu’elles détiennent en grande quantité. Dans leur bilan, ces positions seront remplacées par des liquidités.

Vont-elles les utiliser pour acquérir de nouvelles obligations? On peut en douter, car 20% du marché européen se traitent actuellement à des taux négatifs, impliquant un risque de perte important. Ou vont-elles les déposer auprès de la BCE? C’est improbable, les sommes déposées étant ponctionnées de 0,2% depuis septembre 2014.

L’option de reprendre, même timidement, une politique de crédit expansive redevient ainsi rationnelle. Surtout que, dans
le sillage de la baisse des taux de crédit pratiqués par les banques depuis l’été 2014, la demande en crédit des entreprises et des ménages a amorcé une phase de reprise. Le cycle du crédit pourrait ainsi revenir prochainement en territoire positif pour la première fois depuis 2012.

En cas de confirmation du renforcement des prix de l’immobilier, comme en Espagne ou au Portugal, l’accroissement du rapport entre actifs nantis et crédits octroyés figurant au bilan des banques pourrait donner lieu à une dissolution de réserves latentes, d’où des bénéfices extraordinaires. Elles peuvent aussi céder ces portefeuilles de crédits à des fonds spécialisés. Le capital libéré pourrait alors être alloué à la génération de nouveaux crédits.

Fin 2014, les réserves pour pertes sur crédit représentaient 28% des bénéfices nets des banques de l’indice Euro Stoxx 600, contre 6% fin 2008. Toute amélioration de la qualité des portefeuilles de crédit se traduira ainsi par la génération de bénéfices extraordinaires. Elle se reflète d’ailleurs déjà dans les estimations de profits du consensus des analystes. Pour l’exercice fiscal 2016 et depuis le creux de fin 2012, celui-ci table sur une progression de 232% du bénéfice par action dans le secteur.

Alors que les facteurs négatifs s’accumulent et s’auto-alimentent durant une crise de dette, les observateurs sous-estiment souvent le potentiel d’amélioration une fois la reprise enclenchée. L’effet le plus visible du QE de la BCE est l’affaiblissement de l’euro, qui profite aux multinationales. Autre effet, moins visible, mais plus durable: une reprise du crédit. Elle constituerait un facteur de soutien important au tissu économique de la zone euro et à sa progression bénéficiaire.

Alexandre Tavazzi, Chief Equity Strategist, Pictet Wealth Management.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *