Les bitcoins peuvent-ils inspirer confiance ?

La controverse sur les bitcoins était déjà alimentée par le halo de mystère qui flotte autour de leur(s) créateur(s), qui se fait appeler d’un nom japonais, Satoshi Nakamoto, mais dont l'identité réelle est inconnue, ou par l'odeur de souffre qui en émane en raison de l'anonymat des transactions et des possibilités ainsi offertes aux opérations illicites.

Avec l'arrêt des opérations de Mt Gox, une des principales plates-formes  d'échange et de conservation de bitcoins, et bien qu'il soit trop tôt pour tirer des conclusions définitives, cette controverse atteint le coeur du projet des promoteurs de cette monnaie numérique d'inspiration libertarienne ; elle fait simultanement écho à deux grands sujets anxiogènes des sociétés contemporaines : les technologies de l’information et la finance.

L’acceptation d’un instrument monétaire est toujours un acte de confiance. Elle l’est d’autant plus que l’instrument n’est pas associé à un actif matériel. Cette confiance découle de l’intervention d’un ensemble complexe d’institutions au sommet desquelles sont placées des autorités politiques et monétaires. Ces autorités contrôlent l’émission de monnaie. Lorsque ce contrôle est insuffisant ou défaillant, on risque l’hyperinflation ou la fuite vers d'autres monnaies jugées plus dignes de confiance. Lorsqu’il est excessif, on risque la déflation. Les autorités sont également responsables de la sûreté des transactions. Elles impriment des billets de banque réputés infalsifiables et, surtout, doivent s’assurer que les transactions numériques, qui transitent toujours par des intermédiaires financiers, sont sûres.

La confiance que nous avons dans la gestion de la monnaie par ces institutions bancaires et gouvernementales est d’une double nature. D’abord, nous espérons qu’elles mettront en œuvre les moyens et les compétences qui permettent d’assurer la sécurité des transactions et de produire la quantité de monnaie nécessaire et suffisante pour le fonctionnement optimal de l’économie. Ensuite, la richesse et les moyens de coercition dont ces autorités disposent nous font espérer qu’elles garantiront nos actifs monétaires en cas de problème, soit en les protégeant des prédateurs, soit en venant au secours des émetteurs et gestionnaires de monnaies comme cela a été le cas pendant les crises récentes.

Naturellement, cette confiance a un coût, prélevé par les institutions qui en sont les dépositaires et que d’aucuns peuvent trouver exorbitant, surtout lorsque certaines de ces institutions abusent de la confiance que l’on place en elles. Aussi est-il tentant de se tourner vers des solutions alternatives. Mais, alors, comment avoir confiance ?

Pour nous l’inspirer, les promoteurs des bitcoins veulent, en quelque sorte, créer un « or numérique » en nous disant que la quantité de bitcoins qui sera finalement émise est définie une fois pour toutes. Comme pour l’or, cette finitude peut rassurer. Elle peut aussi susciter des flambées spéculatives ou de véritables ruées. Un parc de serveurs entièrement dédié à l’extraction de bitcoins vient par exemple d’être inauguré en Islande pour profiter de l’électricité d’origine hydraulique bon marché. Mais, comme c’est aussi le cas pour l’or, il n’y a aucune raison pour que cette quantité corresponde aux besoins de nos économies.

Sur le terrain des technologies de l’information, les récentes révélations sur la multiplication des contournements du cryptage des données numériques ne peuvent qu’inviter à un fort scepticisme, que vient renforcer la fermeture de la plateforme Mt Gox. Or, les promoteurs des bitcoins n’ont à ce jour pas d’histoire crédible à raconter aux non-spécialistes sur la fiabilité et l’inviolabilité des algorithmes utilisés. Ils nous demandent la confiance, sans garantie institutionnelle.

Les autorités monétaires de la plupart des grands pays ont mis en garde les utilisateurs de bitcoins. Les transactions se font à leurs risques et périls et il ne faut pas compter sur la garantie des institutions. Les utilisateurs de bitcoins ne doivent pas pêcher par excès de confiance. En Chine, la banque centrale en a interdit l’usage aux intermédiaires financiers.

Aux Etats-Unis, où le réflexe est de laisser s’épanouir l’innovation, les autorités monétaires ne souhaitent pas casser le potentiel novateur des bitcoins. Elles réfléchissent aux moyens d’inspirer la confiance et de limiter leur usage illégal. Dans les deux cas, cela conduit à donner un rôle à des institutions publiques ou de place pour, par exemple, enregistrer et contrôler les plates-formes d’échange, certifier ou noter ces plates-formes ou leurs utilisateurs.

L’avenir des bitcoins est incertain. Elles pourraient être une source d’inspiration pour diminuer les coûts de transactions associés aux systèmes de paiement. Mais la crise financière a montré que les parangons de la déréglementation des marchés et de l’innovation financière sont prompts à solliciter la garantie des institutions publiques lorsque les choses tournent mal. Pire, les autorités peuvent n’avoir d’autre choix que de la leur accorder quand ne pas le faire conduirait à un effondrement du système financier et de l’économie. Derrière l’utopie d’une monnaie libertarienne peut se cacher un risque collectif.

Christophe Destais est directeur adjoint du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) et enseigne la finance internationale à l'Université de Paris 1.

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