Les bonus ou l’irresponsabilité sociale des élites

Le 4 août, la direction de BNP Paribas annonçait à la commission financière du comité central d’entreprise les résultats du deuxième trimestre qui, à 1,6 milliard d’euros, viennent confirmer les résultats, eux aussi excellents, du premier trimestre ; ils s’élevaient à 1,5 milliard d’euros. Le 5 août, une information du journal Libération indiquait que la direction de BNP Paribas s’apprêtait à distribuer un milliard d’euros de plus que l’an passé à ses traders. Malgré la volonté de discrétion de la direction de la banque, cette information était, dans la journée, reprise par l’ensemble des médias remettant en lumière des pratiques salariales qu’on aurait voulu croire abandonnées.

Ainsi, BNP Paribas s’engage scandaleusement dans les pas des banques américaines qui ont englouti 700 milliards de dollars d’aide publique et laissé sur la paille des dizaines de milliers de familles. Leurs dirigeants, très largement responsables de la crise financière mondiale, ont décidé d’arroser de nouveau «les chercheurs d’or» pour sans doute mieux se servir plus tard.

Les grands discours sur la limitation des hautes rémunérations, c’était pour la communication quand il fallait se faire petit pour faire oublier sa responsabilité sur la crise financière et ses incidences catastrophiques sur l’économie et le monde du travail. Aujourd’hui qu’elle s’est refaite, la banque est prête à repartir comme avant. Le casino rouvre ses portes. Qu’importe les recommandations du G20 et des gouvernements sur la régulation et les rémunérations. Pendant que certains font les frais de la crise par la fermeture de leur entreprise, d’autres décident de se goinfrer et d’être socialement totalement irresponsables.

Les suppressions d’emplois dans le groupe BNP Paribas continuent, les rémunérations sont encadrées pour le gros des troupes tandis que l’élite dirigeante, elle, soigne ses revenus. Elle fait fi de l’ensemble des salariés de l’entreprise qui n’ont pourtant pas démérité, puisque la banque de détail comme la banque de financement et d’investissement (CIB) ont produit chacune du résultat. La crise n’aura été finalement qu’un accident de parcours de quelques mois pour les banques… mais pas pour le reste de l’économie. En pratiquant de la sorte, les dirigeants de BNP Paribas, au nom d’une vision étriquée de la société, viennent de remettre de «l’acidité» dans la relation des clients avec les salariés de la banque qui assurent le contact clientèle. Si les ressentiments liés à la difficulté de gestion des comptes, notamment pour les plus modestes, sont assumés discrètement et sans éclat, ils donnent aussi lieu, selon les individus, à des actes d’incivilité qu’on ne peut simplement renvoyer à l’augmentation de la violence dans la société sans s’interroger sur les raisons qui conduisent à ces situations.

L’image de la banque et des banquiers est largement entamée dans la population… Les banques sont jugées responsables de la crise financière qui a entraîné la crise économique, elles ont bénéficié les premières des aides des Etats, et donc des contribuables, mais elles n’ont pas modifié leur mode de fonctionnement et de gestion. Ainsi, elles ont toutes conservé leurs établissements dans les paradis fiscaux, les dirigeants ont continué à vouloir se servir des rémunérations sans rapport avec leur activité (salaires, stockoptions, retraites…) et sans commune mesure avec la situation du pays et de la grande masse de la population. Leur image est détestable, mais ils continuent.

Ces dirigeants irresponsables génèrent tous les ingrédients des incivilités de certains clients qui ne peuvent comprendre que quelques-uns soient servis à milliards pendant que d’autres sont assommés par des frais et commissions insupportables et inéquitables. Mais s’en soucient-ils vraiment ? On ne peut se plaindre de l’évolution de la société vers une augmentation régulière de la violence et des incivilités et fabriquer en même temps, par de telles inégalités sociales, les raisons de débordements. Faut-il accepter de tels comportements sociaux, source d’écarts de situation insupportables dans une société qui se veut un tant soit peu solidaire ?

Parlement et gouvernement doivent assumer leurs responsabilités pour redonner au système bancaire un mode de fonctionnement et d’administration autrement plus présentable. Les opérations de communication n’y suffiront pas, il est temps de prendre des mesures. Reste aux salariés à se préparer aux négociations salariales qui débuteront en septembre pour imposer une remise à plat du système des rémunérations pour plus de transparence, plus d’équité et une réduction significative des écarts salariaux.

Ohan Toufanian, secrétaire général adjoint de la fédération CFDT des Banques et sociétés financières.