Les capacités d’intrusion de la Chine sont moindres que ce que l’on croit

A écouter les déclarations des responsables chinois sur la remise à l’honneur de l’antique route de la soie ou à voir évoluer les tensions entre Washington et Pékin sur leurs échanges commerciaux, on a l’impression que le monde est non seulement inondé de produits fabriqués par la Chine, mais qu’il est en passe de l’être par ses capitaux. En d’autres termes, la Chine serait non seulement l’atelier du monde, mais aussi son futur propriétaire et créancier.

Ce statut de puissance financière de la Chine lui permettrait en particulier de faire pression sur les Etats-Unis en les menaçant de vendre une partie des obligations publiques américaines qu’elle détient (1 130 milliards de dollars, le total de la dette de l’Etat américain s’élevant à 22 000 milliards de dollars). Pourtant, à y regarder de plus près, cette vision est fallacieuse.

En effet, pour que la Chine devienne le créancier ou propriétaire du monde, il faudrait qu’elle dégage de façon durable et continue des excédents extérieurs qu’elle puisse ensuite investir. Or, alors qu’en 2007 l’excédent extérieur de la Chine représentait 10 % de son PIB, en 2019 elle équilibrera à peine ses comptes. D’après les projections de l’OCDE pour 2020, les excédents de balance des paiements courants vont, en effet, continuer à se concentrer en Europe continentale et au Japon, les déficits au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

Polarisation de la répartition des excédents et des déficits

La nouveauté est que la Chine serait en déficit de 0,3 % de son PIB. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit que les avoirs extérieurs nets de la Chine passeront de 20 % de son PIB en 2013 à 10 % en 2023. L’essentiel de cette réduction se traduirait, toujours selon le FMI, par une baisse des réserves de change de la banque centrale chinoise de 3 880 milliards de dollars à 2 800 milliards de dollars, afin de garantir le maintien des autres investissements plus directement liés à l’activité productive dans les pays qui en bénéficient.

Il n’en reste pas moins que les capacités d’intrusion de la Chine dans les autres économies sont moindres que ce que l’on croit. Alors que le système des changes flottants mis en place il y a un peu plus de quarante ans devait assurer, grâce aux évolutions spontanées des taux de change, le retour à l’équilibre des balances des paiements courants, il n’en a, de fait, rien été.

Ce système a, au contraire, eu tendance à polariser la répartition des excédents et des déficits. Les déficits touchent essentiellement le Royaume-Uni et les Etats-Unis, les excédents sont localisés dans les pays rentiers producteurs de pétrole, au Japon et en Europe, le Vieux Continent étant devenu, à l’instar du Japon, un continent vieux, dont le revenu est de plus tiré de la rente plutôt que de l’activité productive.

Les charmes de la consommation de masse

Le circuit financier mondial s’organise ainsi autour d’un déficit extérieur annuel américain de 500 milliards de dollars, dont 225 milliards partent en Chine. Une fois qu’elle a reçu ces dollars, la Chine s’en sert pour payer les importations de plus en plus importantes nécessaires à la satisfaction d’une population de plus en plus désireuse de consommer, mais aussi pour rémunérer les investissements directs étrangers, notamment japonais, qui lui ont été indispensables au moment de son décollage économique.

Ce faisant, la Chine contribue massivement aux excédents extérieurs allemands (le plus élevé au monde) et japonais (le deuxième en montant). Si l’on veut analyser cette situation sur le plan plus large de la théorie économique, il faut rappeler qu’un excédent extérieur correspond à un haut niveau d’épargne, et un déficit à une consommation excessive.

En pratique, l’Allemagne et le Japon épargnent et achètent la planète, les Etats-Unis dépensent et consomment sans compter, s’endettant au passage sans vergogne, tandis que la Chine découvre les charmes de la consommation de masse, limitant ainsi sa capacité effective à épargner et à se projeter à l’extérieur.

Pour ce qui est de l’Allemagne et du Japon, cette accumulation d’épargne est la réponse adéquate au vieillissement spectaculaire de leur population. Pour ce qui est des Etats-Unis, leur insouciance dépensière est en conformité avec une attractivité maintenue qui leur permet de nourrir leur dynamisme économique d’un « brain drain » plus fort que jamais.

En revanche, l’inquiétude que doit susciter la Chine n’est pas celle de son expansionnisme financier mais, avec sa démographie vieillissante qui la rapproche du Japon ou de l’Allemagne, celle de sa plongée programmée vers un déficit extérieur traduisant une épargne insuffisante pour affronter son vieillissement.

Jean-Marc Daniel, professeur d'économie émérite à ESCP-Europe.

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