Les Catalans veulent devenir une nation à part entière

Chaque fois que la Catalogne a fait mine de vouloir partir, c’était dans un contexte de crise du système politique espagnol. Ainsi, la résurgence de l’indépendantisme catalan ne saurait être dissociée d’autres signes d’épuisement du système démocratique issu de la transition espagnole. Ce n’est pas un hasard si l’Assemblée nationale catalane (le principal mouvement social pour l’indépendance) est née en avril 2011, tout juste un mois avant le mouvement « 15-M » [celui des indignés, apparu le 15 mai 2011], dont devait ensuite surgir Podemos.

Le régime de la Constitution de 1978 a procuré à l’Espagne une période de stabilité démocratique sans précédent. Mais, né de la transition sans rupture d’une dictature à une démocratie, avec le roi Juan Carlos dans le rôle du bon traître, qui a évolué, de la légitimité du régime franquiste qui le désigna, vers la représentation de la nouvelle légitimité démocratique, il était entaché de certains vices à l’origine et fut construit dans le souci principal de la stabilité.

La démocratie ne devait pas être une fois de plus un épisode éphémère de l’histoire de l’Espagne. C’est ainsi que s’est construit un régime hiérarchisé, favorisant l’hégémonie manifeste du pouvoir exécutif sur les autres pouvoirs et institutions de l’Etat, qui a conduit à une alternance bipartite entre deux partis forts et opaques, le Parti populaire (PP) et les socialistes du PSOE, qui ont colonisé tous les espaces du pouvoir.

Corruption systémique

Au fil du temps, le régime s’est refermé sur lui-même et la crise de 2008 a eu un effet révélateur : elle a mis en évidence les noirceurs du système et, notamment, son opacité, son manque de représentation et la promiscuité de la politique et de l’argent dans des affaires de corruption systémique. Puis le temps des grandes mobilisations sociales est arrivé qui donnerait naissance à des partis politiques prêts à se lancer dans la bataille électorale pour le pouvoir.

C’est dans ce contexte que le mouvement indépendantiste catalan a fait le grand saut. Dans un pays fracturé par la politique d’austérité, sans autre perspective que le chômage, la dévaluation salariale et l’effondrement de la classe moyenne, sous un gouvernement du PP accroché au discours de l’absence d’alternative, le mouvement indépendantiste est apparu en Catalogne comme « une utopie disponible », selon l’expression de la sociologue Marina Subirats. Il en aurait sans doute été autrement si les élites espagnoles n’avaient pas resserré les rangs pour la défense du bipartisme, si les deux principaux partis avaient été capables d’engager des réformes d’un régime grippé. Réformer signifie redistribuer le pouvoir, et c’est justement ce que réclament les mouvements sociaux et le mouvement indépendantiste catalan.

L’Espagne n’a jamais été une nation centralisée et close, comme on peut le dire de la nation française et de sa culture républicaine. Il y a un décalage historique entre le pouvoir politique fortement ancré dans le centre de la péninsule et une puissance économique périphérique. Et le différend territorial a été permanent dans un pays que beaucoup considèrent comme plurinational.

Le grand choc

C’est un grand choc qui a déplacé le centre de gravité du catalanisme vers l’indépendance. La société catalane a beaucoup changé depuis le début de la transition. En raison des changements démographiques : la majorité des Catalans sont nés en Catalogne, malgré l’immigration étrangère, alors que dans les années 1970, la majorité des Catalans venaient du reste de l’Espagne, à la suite des grandes migrations intérieures des années 1960 ; en raison du changement social : la majeure partie de la société se sentait appartenir à la classe moyenne et vit à présent sous la menace des fractures de la crise ; en raison du changement de mentalité, après trente ans d’enseignement démocratique, avec le catalan comme langue vernaculaire et les références culturelles propres à la Catalogne ; et enfin en raison du progrès technologique, les réseaux sociaux étant un puissant outil de relation qui renforce et encourage les communautés revendicatives qui existaient auparavant.

Depuis le 11 septembre 2012, quatre grandes manifestations ont regroupé des centaines de milliers de personnes réclamant le droit de décider et l’indépendance. Les événements se sont précipités lorsque le président Artur Mas, suite au rejet de sa proposition de pacte budgétaire, a convoqué des élections pour se mettre à la tête du processus d’indépendance.

Si Mas a subi une sanction électorale à cause de ses politiques économiques, une large majorité du Parlement catalan a demandé au Parlement espagnol l’autorisation d’organiser le référendum. Elle a été refusée. Le gouvernement catalan a organisé une consultation populaire, interdite par la Cour constitutionnelle. Deux millions et demi de personnes n’en ont pas moins voté en dépit de son illégalité. Face au refus catégorique du gouvernement espagnol d’autoriser un référendum, le président a convoqué les élections de dimanche prochain tout en leur donnant le caractère d’un plébiscite.

Le gouvernement espagnol a mobilisé l’appareil d’Etat, les banques, les entreprises et les médias pour faire susciter la peur. A l’issue du scrutin se posera la question de savoir si l’indépendance a gagné ou perdu. Une grande majorité des citoyens de la Catalogne – qui pensent que celle-ci est une nation – veulent qu’elle soit reconnue comme un sujet politique à part entière et non comme un rameau de l’arbre espagnol. Et cette reconnaissance devra prendre tôt ou tard la forme d’un référendum, afin d’éviter une confrontation aux conséquences sans doute imprévisibles (Traduit de l’espagnol par Martina Hidalgo).

Josep Ramoneda a enseigné la philosophie contemporaine à l’université autonome de Barcelone (1975-1990). Ecrivain et journaliste.

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