Les citoyens européens auront enfin leur mot à dire à Bruxelles

La place des citoyens européens dans la construction européenne pourrait connaître une évolution marquante dès cette année. En effet et depuis le 1er avril 2012, l’initiative citoyenne consacrée par le traité de Lisbonne dispose de son règlement d’application, précisant sous quelles conditions un million de citoyens européens peuvent adresser à la Commission européenne une proposition législative.

Devenue le porte-étendard de la Commission pour illustrer le rapprochement de l’Europe des citoyens, l’initiative citoyenne a pourtant fait son entrée par la petite porte sur l’agenda politique. En effet, c’est au moment de la Convention sur l’avenir de l’Europe chargée d’élaborer une Constitution européenne (2002-2003) que l’on évoque timidement la perspective d’une telle initiative. Elle est introduite dans les dernières semaines précédant la clôture des débats de la Convention. D’ailleurs, ce nouvel outil de participation citoyenne aurait pu sombrer avec la Constitution européenne, après le double rejet par référendum de la France (29 mai 2005) et des Pays-Bas (1er juin 2005). L’abandon du traité constitutionnel par les Etats membres n’a pas condamné l’initiative citoyenne pour autant, car la quasi-intégralité des dispositions constitutionnelles est reprise dans le traité de Lisbonne, dont l’initiative citoyenne. Aussi la perspective d’offrir aux citoyens européens un canal de participation supplémentaire occupe désormais une place de choix dans le traité de Lisbonne, celle consacrée aux «principes démocratiques» de l’Union européenne.

On peut cependant légitimement s’interroger sur le fait que cette initiative permet à l’UE de mieux jouer sa partition démocratique. Les contraintes tant sur le fond que sur la forme ne vont-elles pas favoriser les groupes fortement organisés et présents dans tout l’espace communautaire, lobbies plutôt qu’associations de citoyens?

En premier lieu, il convient de préciser que sous le terme «d’initiative» se cache en réalité davantage une pétition collective car aucune obligation n’est faite à la Commission de traduire dans un acte législatif la proposition soumise. Cela n’est pas sans rappeler les dispositions d’initiative populaire en Autriche, Italie et au Portugal, puisque sous l’appellation formelle «initiative» figurent en réalité des procédures pour initier une pétition.

Toutefois, et même de nature consultative, l’impact d’un texte signé par au minimum un million de citoyens en âge de voter, selon leur législation nationale respective, revêt un poids politique et symbolique certain que la Commission européenne ne pourra simplement pas balayer d’un revers de manche. Surtout que ce million de signatures doit être récolté au minimum dans sept Etats membres et selon un quorum de signatures qui varie par pays; 74 500 signatures en Allemagne ou 3750 à Malte par exemple. De plus, il sera possible de récolter ces signatures sur papier ou par voie électronique, offrant l’opportunité d’utiliser autant les canaux traditionnels de la politique que les potentialités de la démocratie électronique.

Enfin, pour que cette initiative puisse véritablement prétendre à son label «citoyen», le Comité d’initiative doit être composé de citoyens européens libres de tout mandat politique. Ainsi, un eurodéputé ne pourra figurer dans le Comité d’initiative et plus fondamentalement, un parti, une ONG ou un lobby ne pourront lancer d’initiative citoyenne, ce qui ne les empêchera pas pour autant de faire campagne en faveur ou contre celle-ci.

Ainsi, et malgré son caractère consultatif, l’Europe lance aux citoyens européens autant qu’à elle-même un véritable défi, celui de promouvoir le débat public transnational dans une Europe qui connaît aujourd’hui un repli identitaire et nationaliste. Plus que l’objet même de l’initiative, dont l’étendue est limitée aux domaines de compétence de la Commission, il s’agira principalement de convaincre les citoyens européens que cette initiative peut être un véritable canal de proposition et de contestation au niveau européen, échappant aux prérogatives gouvernementales qui ont marqué la gouvernance européenne durant la crise de l’euro.

Surtout, cette initiative citoyenne arrive dans un contexte où la contestation citoyenne a désormais la planète comme caisse de résonance, comme l’illustrent des mouvements tels que les Indignés ou Occupy Wall Street. Les potentialités de cette initiative sont importantes et constituent une avancée fondamentale sur le plan de la démocratie dans l’UE depuis les élections européennes au suffrage universel direct de 1979. L’innovation est certes dans la création de ce nouveau canal de participation, mais plus particulièrement dans le fait que c’est désormais aux citoyens européens d’en définir sa pratique; un retour aux sources en somme, celui de replacer le citoyen au centre du projet européen.

Frédéric Esposito, spécialiste de l’UE et convaincu du bien-fondé de cette innovation

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