Le droit des brevets n’a qu’une raison d’être: stimuler l’innovation. En réalité, la façon dont il est appliqué dans le secteur des semences a des effets délétères. Toujours plus nombreux, les brevets sur le vivant contribuent à la domination de quelques multinationales, qui profitent ainsi de positions de marché qu’aucun Etat n’oserait leur accorder. Au final, la protection de la propriété intellectuelle dans ce secteur empêche l’innovation, au lieu de l’encourager, et menace la sécurité alimentaire.
Du point de vue du droit des brevets, le secteur des semences est particulier, car les sélectionneurs doivent toujours se baser sur des variétés de plantes existantes pour en développer de nouvelles. Il y a quinze ans, les agriculteurs ou les producteurs pouvaient choisir sans restriction des espèces végétales sur le marché ou dans des banques génétiques pour en créer de nouvelles. Ils ont progressivement été privés de cette liberté essentielle. Chaque année, l’Office européen des brevets accorde en effet des brevets sur des plantes obtenues selon des méthodes conventionnelles.
Aujourd’hui, chaque sélectionneur doit donc s’assurer que ses ressources phytogénétiques ne sont pas brevetées. Cette vérification préalable peut s’avérer compliquée, car l’existence de tels brevets n’est pas toujours indiquée sur les paquets de semences et le nom de la variété ne suffit pas pour savoir si celle-ci est couverte par un brevet. La situation est telle que de nombreux sélectionneurs estiment aujourd’hui que l’accès restreint aux ressources phytogénétiques constitue un frein à l’innovation.
Les conséquences néfastes du brevetage du vivant ne s’arrêtent pas là. L’octroi de brevets sur des plantes permet aussi aux grands semenciers d’exclure leurs concurrents du marché, les petites et moyennes entreprises ne disposant pas des moyens financiers suffisants pour obtenir et faire respecter des brevets. Ce processus est encore aggravé par le fait qu’un brevet peut porter sur de nombreuses variétés, ou qu’une variété peut être couverte par plusieurs brevets.
Le droit des brevets a ainsi été l’un des puissants moteurs de la concentration du marché des semences, dont trois sociétés – Monsanto, DuPont et Syngenta – se partagent aujourd’hui plus de 50%. Dans le cas du poivron, Monsanto et Syngenta possèdent à elles seules près de 60% de toutes les variétés brevetées en Europe. Ce mouvement s’est accentué de façon exponentielle ces dernières décennies: en 1985, les neuf plus grandes sociétés agroalimentaires contrôlaient 12,5% du marché des semences commerciales, contre 60% aujourd’hui. Cette position oligopolistique permet aux multinationales de fixer le prix de leurs semences, aux dépens des agriculteurs et, au final, des consommateurs. Ce contrôle restreint aussi le nombre de nouvelles variétés qui arrivent sur le marché. Au final, la biodiversité dans l’agriculture rétrécit comme peau de chagrin, aux dépens de notre sécurité alimentaire.
Confrontées au quotidien à ses effets pervers, les principales associations de sélectionneurs en Europe s’opposent fermement au brevetage de variétés obtenues selon des méthodes conventionnelles. Cette position est partagée par les organisations paysannes, écologistes et de développement. Malgré les nombreux signaux d’alarme, la plupart des Etats peinent à remettre en question cette loi dont les effets sont pourtant contraires à l’intention initiale. Deux pays font exception. L’Allemagne et les Pays-Bas ont en effet réagi en interdisant le brevetage des variétés issues de méthodes de sélection conventionnelles au niveau national. Mais une telle mesure n’est pas suffisante. En effet, la plupart des brevets, en Suisse comme sur le reste du continent, ne sont pas accordés par les offices nationaux, mais par l’Office européen des brevets, à Munich. Il est donc impératif d’agir au niveau du Conseil d’administration de cette organisation rassemblant les représentants de 38 pays, dont la Suisse.
Réunies au sein de la coalition internationale «Pas de brevets sur les semences!», la Déclaration de Berne, SWISSAID et ProSpecieRara ont lancé une pétition contre les brevets sur les plantes et les animaux. Celle-ci demande que des mesures politiques soient prises de toute urgence afin d’empêcher que de tels brevets soient délivrés. Fait peu commun pour une telle pétition, le Grand Conseil du canton de Vaud a officiellement communiqué son soutien. Il demande que les autorités cantonales vaudoises et les autorités fédérales se positionnent aussi en faveur de ce texte. Un signal positif qui, espérons-le, sera entendu jusqu’à Berne.
François Meienberg, de la Déclaration de Berne.