Les cryptomonnaies bouleversent l’ordre établi

Aujourd’hui, avec un excellent développeur informatique, il est possible de créer sa monnaie alternative et de la proposer au monde entier. Le bitcoin a fait des émules : ethereum, ripple, litecoin, dash… Il existe plus de mille cryptodevises en circulation. Chacune a son positionnement : l’une économise l’énergie, l’autre garantit un anonymat total… Mais de nombreuses voix s’élèvent contre ces cryptodevises : « le bitcoin, c’est du vent », « le bitcoin n’a pas de sous-jacent ! » Et la bulle grossit, grossit… Un bitcoin vaut aujourd’hui plus de 7 000 dollars !

Un produit financier doit avoir un sous-jacent, c’est-à-dire reposer sur une activité économique ayant une valeur au moins prévisionnelle – sinon, « c’est du vent ». A quelle activité économique contribuent les douze cryptodevises dont la masse monétaire dépasse pour chacune le milliard d’euros ? Il y a peu d’indicateurs, ce qui laisse la place à l’imagination. Les activités mafieuses, attirées par la facilité discrète des transferts de fonds, constituent sans doute un sous-jacent. Pour mémoire, le seul trafic de drogue à l’échelle mondiale réalise un chiffre d’affaires de plus de 240 milliards d’euros par an, soit l’équivalent de la vingt et unième puissance économique mondiale.

Mais le bitcoin s’est aussi avéré utile pour les peuples dont la monnaie perd de la valeur. Depuis 2015, les Chinois ont transféré en bitcoins une partie de leurs 10 000 milliards d’épargne, car l’Etat a décidé de dévaluer le yuan et de contrôler les changes. La Chine réfléchit d’ailleurs à interdire les échanges en bitcoins. Qu’il soit considéré comme bon ou mauvais, le bitcoin – comme les autres cryptodevises – a une utilité. Ces cryptomonnaies sont même vues par certains comme des valeurs refuges.

Le bitcoin est rare

Les banques centrales injectent des liquidités dans le système financier classique en rachetant des obligations aux banques. Depuis peu, la Banque centrale européenne rachète même de la dette directement aux Etats qui n’ont pas vraiment fait la preuve de leurs bons principes de gestion. Les masses monétaires de nos devises sont ainsi en dangereuse augmentation – près de 5 % par an en zone euro –, alors que la croissance n’atteint même pas 2 %. Et ne parlons pas des velléités guerrières de certains : le rouble a chuté de 30 % lorsque la Russie a envahi l’Ukraine.

Le bitcoin est rare, car, contrairement aux monnaies nationales, sa masse monétaire est bornée, et il a une utilité. Le bitcoin a donc une valeur. Même si son cours est très volatil, et qu’il subit en moyenne une explosion de bulle par an, une simple régression linéaire montre qu’il est en forte croissance. Et il est facile à acheter, plus facile à transférer et à stocker que l’or.

Des génies du numérique se sont ainsi adjugé les prérogatives des Etats, en faisant émerger un nouveau système monétaire. Basées sur la blockchain, une technologie de certification décentralisée et indépendante des réseaux bancaires, les cryptodevises bousculent l’ordre établi. Depuis bientôt dix ans, les échanges en bitcoins se font sans frontière ni contrôle fiscal automatique, en temps réel et à peu de frais. Et la grande majorité des pays reste ouverte à cette innovation.

Rémunérer les actions positives

Bref, il s’agit d’un laboratoire d’innovations financières à l’échelle planétaire. La dernière innovation en date est la levée de fonds en cryptodevises. Sur la base d’un projet entrepreneurial attrayant et d’une communication adaptée, il est possible, en quelques minutes, de lever en ethereum l’équivalent de plusieurs dizaines de millions d’euros. Le mécanisme est dénommé ICO (Initial Coin Offering). Selon CoinDesk, les sommes levées ainsi dans le monde depuis le début de l’année ont dépassé celles levées en amorçage classique.

Le monde de la finance traditionnelle voit d’un œil circonspect l’intrusion dans son pré carré de cette nouvelle filière. Les cryptomonnaies n’ont pas de banque centrale, la création de monnaie suit des règles prédéfinies dans le logiciel, et elle est totalement décentralisée. Les places de marché des cryptodevises sont des entreprises indépendantes créées il y a moins de dix ans. Une ICO fait uniquement appel aux compétences d’experts de la blockchain, à de bons communicants et à des avocats.

Mais n’est-ce pas le propre des innovations que de bouleverser les acteurs en place ? Profitons des opportunités qu’offrent les avancées technologiques de la blockchain pour améliorer le système économique. Les cryptomonnaies n’en sont qu’à leurs prémices, faisons-les évoluer positivement. Du point de vue des Etats, une cryptodevise nominative peut aider à lutter contre l’évasion fiscale.

Favoriser les actions positives

Pour garder le contrôle de la création monétaire, le University College de Londres a même réfléchi à une cryptodevise possédant une banque centrale. La blockchain permettra dans tous les cas de réduire les coûts des transactions et d’accélérer leur traitement.

Pour les acteurs économiques, les contrats intelligents permettent des transactions inscrites dans la durée. L’acheteur acquiert des jetons régis par un contrat et donnant droit à des paiements ou à des services futurs. Le système bitcoin rémunère ses « mineurs », ceux qui participent à la certification des transactions. Pourquoi ne pas rémunérer aussi les personnes bienfaisantes ? Un échange économique est aussi un échange humain. Le sourire de la crémière, l’impact environnemental d’un produit doivent pouvoir être évalués par un système de notation. Et une partie de la création monétaire pourrait ainsi être utilisée pour récompenser les comportements bénéfiques pour la société.

Le système monétaire du futur devra être adoubé par les Etats. Il devra être utile aux acteurs économiques et, surtout, il devra servir ses utilisateurs en favorisant les actions positives et les transactions durables, car le bien-être ne se résume pas à un produit acheté et à un montant transféré.

Franck-Philippe Schreiber est ingénieur, économiste et écrivain, auteur de Monnaie : Insuffler de la bonté et de l’intelligence dans la monnaie, comme alternative humaniste à nos économies capitalistes (Les éditions du col de la Galise, 212 pages, 20 euros).

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *