Les défis de la paix dans l'est de la République démocratique du Congo

Alors que le ministre des affaires étrangères français, Bernard Kouchner, entreprend une tournée africaine qui l'amènera au Rwanda et en République démocratique du Congo (RDC), la situation à la frontière de ces pays ne cesse d'être volatile. Longtemps à couteaux tirés, ces deux pays se sont rapprochés en 2009, à la suite des pressions de la communauté internationale. Ce rapprochement s'est traduit par l'arrestation d'un des principaux seigneurs de guerre de la région, Laurent Nkunda, ex-leader du mouvement rebelle tutsi, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), l'intégration de ses troupes dans l'armée congolaise et la traque contre la milice des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), sinistres héritiers du génocide rwandais de 1994, installés depuis en RDC. Cette traque a pris la forme d'opérations militaires : après une multitude d'accords inappliqués, l'usage de la force marquait un changement majeur de stratégie vis-à-vis des groupes armés.

Paradoxalement, la nouvelle donne entre Kigali et Kinshasa n'a pas produit les effets escomptés. La mise hors jeu de Laurent Nkunda ne s'est pas traduite par sa comparution devant la justice mais par son remplacement, à la tête du CNDP, par un autre soldat de fortune recherché par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre, Bosco Ntaganda. Les opérations militaires n'ont pas permis de neutraliser les FDLR et ont eu un coût humain élevé pour les populations civiles, prises entre deux feux et victimes d'exactions de la part de l'armée comme de celle des milices rebelles. Le CNDP utilise son intégration dans les troupes congolaises aux fins d'étendre sa zone de contrôle, occuper davantage de sites miniers et organiser le retour de populations tutsies dans des territoires de l'est de la RDC qu'il juge être siens.

Ce bilan ne surprend pas, l'insincérité étant partie intégrante des processus de paix. Mais il reflète un problème plus profond : la compétition pour le foncier et les ressources minières, causes structurelles de l'instabilité dans cette région frontalière, n'est toujours pas prise en compte dans la stratégie de paix. Celle-ci continue de se développer dans deux directions : la lutte contre les FDLR et la réforme du secteur de la sécurité. La première implique, pour être efficace, d'être internationale et de frapper les réseaux financiers soutenant ce mouvement depuis l'Europe, l'Amérique et l'Extrême-Orient. La seconde est une œuvre de long, voire très long, terme qui suppose des budgets et une expertise considérables ainsi qu'une volonté politique de fer pour éradiquer la corruption dans les services de sécurité. Or les efforts déployés dans ces deux domaines sont loin d'être à la hauteur des besoins.

Engluée dans des dilemmes sécuritaires, l'actuelle stratégie de paix néglige les causes profondes de la violence : la compétition pour le foncier, sur fond de surpeuplement (le Rwanda et le Burundi ont dépassé les 300 habitants au kilomètre carré et l'Est congolais atteindra bientôt cette densité), et la lutte pour le contrôle des ressources minières, qui sont à cette région ce que le pétrole est à l'Arabie saoudite. Malgré l'accumulation d'études et de rapports, le commerce illicite des minerais continue d'alimenter les caisses des seigneurs de guerre, et le problème de l'accès à la terre reste considéré comme un sujet bon pour les spécialistes en développement mais néfaste pour les négociations de paix.

Il faut espérer que cela change vite, et l'occasion d'intégrer les problématiques de développement dans les négociations de paix est à portée de main : la conférence internationale sur la coopération économique dans la région des Grands Lacs, prévue cette année à l'initiative de la France, devra prendre ces deux sujets à bras-le-corps ; sinon elle sera pour la paix en RDC ce que la conférence de Copenhague a été pour l'environnement : un rendez-vous manqué de plus.

Thierry Vircoulon, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales.