Les devoirs de l’OMC pour le développement durable

Au-delà des abus qui choquent tout un chacun, comme, par exemple, les bulles financières à répétition, les délocalisations sauvages ou le travail des enfants, la globalisation de l’économie est très généralement associée à la montée des inégalités et au nivellement des normes environnementales et sociales à l’échelle de tous les continents. La Chine et les pays du Sud-Est asiatique jouent ici le rôle de bouc émissaire, mais pratiquement aucun pays ne peut être exonéré de ses responsabilités. Unifiant la circulation des biens et des capitaux, la globalisation met en compétition des pays et des zones aux exigences écologiques et sociales très différentes. D’où les interrogations récurrentes et de plus en plus pressantes sur la nécessité de nouvelles régulations mondiales.

L’émergence de la notion de développement durable, au moment même où suite à la chute du Mur le libéralisme sans freins semblait devenir la loi unique du monde, donne des éléments de réponse et exprime une volonté d’action collective sur le destin collectif. Et en effet, outre les nombreuses conférences internationales dont celle de Rio 92 est la plus connue, des conventions importantes ont été négociées, autant dans le domaine social qu’environnemental, qui pourraient être les bases d’une régulation adéquate des échanges mondiaux: celles sur le droit de la mer, le climat, la biodiversité; celles de l’OIT sur le droit du travail…

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les institutions internationales économiques et financières ont été les instruments de la libéralisation des marchés des capitaux et des marchandises. Aujourd’hui, elles peinent à trouver des réponses à des questions comme celles-ci: si un pays applique des normes moins rigoureuses que d’autres sur le plan écologique et social, cela ne procure-t-il pas à ses exportations d’un avantage déloyal? Faut-il autoriser des mesures commerciales comme moyen de pression sur des pays qui violent les normes internationales en matière sociale ou écologique? Quelles sont les institutions pertinentes pour débattre, délibérer et, le cas échéant, prendre des sanctions contre les pays qui n’appliqueraient pas les conventions internationales qu’il aurait ratifiées?

L’OMC bute ainsi devant un débat essentiel: un Etat membre peut-il discriminer ou favoriser un bien ou un service en raison de procédés ou de méthodes de production (PPM)? La tendance dominante ne le veut pas, et pourtant, le développement durable passe par là, que l’on pense au commerce équitable ou encore aux nombreux labels de qualité durable (bio, FSC, MSC, etc.). Ne pas les reconnaître, c’est en effet balayer d’un revers de main les pionniers de standards qui, généralisés, permettront au monde de demain de connaître une prospérité équilibrée. Et que faire dans ce contexte des nombreuses conventions évoquées ci-dessus et qui incarnent le besoin de mettre en place des politiques publiques et des cadrages exprimant l’intérêt général de l’humanité?

Ces questions ont été posées en 2002 au Sommet mondial du développement durable de Johannesburg. Pour les partisans du néolibéralisme alors encore en vogue, l’évidence était que le libre commerce devait primer sur la régulation, au risque de vider de toute substance des conventions âprement négociées mais finalement jamais vraiment prises au sérieux. Pour les partisans d’un développement durable, c’était évidemment l’inverse: la prospérité ne peut se définir que dans le respect des exigences éthiques, sociales, écologiques. Finalement ce fut un «patt», une formule qui renvoie le débat à des jours meilleurs.

Certes, on a inscrit dans le plan d’action validé le 4 septembre 2002 «la dimension sociale de la mondialisation», la nécessité de placer les «besoins et intérêts des pays en développement au cœur» des préoccupations de l’OMC. Mais la formule de compromis vaut son pesant d’or: «Promouvoir un soutien mutuel entre le système commercial multilatéral et les accords environnementaux multilatéraux […] tout en reconnaissant l’importance de maintenir l’intégrité des deux types d’instruments.» Et c’était là une victoire contre les partisans du tout au marché…

En juin 2012, à Rio, ces questions seront reposées. Et les réponses ne pourront plus être différées, car le modèle de développement dominant n’est tout simplement pas viable. L’une de ses performances majeures est d’avoir donné au cinquième de la population mondiale un niveau de vie dont les générations passées ne pouvaient même pas rêver. Mais nous savons que ce modèle ne pourra pas fonctionner, même pour le cinquième le plus riche, et encore moins pour le monde entier. Les marchés excluent ceux qui ne possèdent pas un pouvoir d’achat. Et le système des prix échoue aussi à dire la vérité écologique.

Une des questions centrales auxquelles est confrontée notre génération est de savoir si nous parviendrons à inverser la détérioration de l’environnement et la raréfaction des ressources essentielles qui ont sous-tendu le développement économique depuis la première révolution industrielle. Nous commençons à voir à quoi devra ressembler une économie verte et il est difficile d’envisager une restructuration plus fondamentale que celle qui devra se produire au niveau énergétique: passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables, passer du modèle économique linéaire à un modèle de réutilisation et de recyclage. Cette transformation inévitable engagera tous les secteurs économiques, redéfinira les échanges économiques entre les nations et exigera de nouvelles régulations internationales.

La transition vers une économie verte appelle ainsi une vision globale commune de la restructuration des règles du commerce international. L’échelle des changements nécessaires n’a d’égale que son urgence. L’OMC a inscrit dans sa charte la référence au développement durable. Reste à lui donner corps et contenu. C’est cela que le monde attend maintenant de l’OMC: organiser le commerce, comme son nom l’indique. L’OMC devra donc prendre sa part de responsabilités en veillant à ce que les Etats soient à jour avec leurs obligations sociales et environnementales – faute de quoi le commerce mondial ne sera pas un acteur du développement durable, mais son adversaire.

Antonio Da Cunha et René Longet, spécialistes du développement durable

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