Aujourd'hui il n'existe pas de fichier unique de données climatiques mais une multitude de fichiers, contenant des données de sources diverses et de qualité variable, traitées de façon indépendante. Pourquoi ? Parce que les données climatiques ne sont pas du domaine public.
Ces données proviennent pour une bonne part des services météorologiques nationaux. Elles représentent une marchandise qui fait l'objet d'un commerce rapportant des sommes importantes aux services nationaux et leur vente participe à leurs frais de fonctionnement et de formation coûteuse et aléatoire, sachant la fuite chronique des cerveaux des pays du Sud.
Pour les obtenir, ou du moins pour en obtenir des fragments, les laboratoires des pays du Nord passent des accords de confidentialité avec ces services, souvent dans le cadre de projets de recherche, des accords interdisant leur copie à d'autres chercheurs. Néanmoins les données climatiques arrivent souvent de façon non officielle dans les machines de ces chercheurs qui ne peuvent et – pour cause ! – en faire la publicité.
Ainsi chaque laboratoire, étudiant des séries de données climatiques mondiales, continentales et régionales, construit son fichier de manière indépendante selon ses contacts et ses opportunités : les contenus puis les traitements peuvent être assez différents et ils sont parfois difficiles à justifier simplement parce que la critique des données fait appel à une dose importante de savoir-faire au moment de l'acceptation ou du rejet d'une information. Il faut savoir enfin que les fichiers dits opérationnels diffèrent de ceux des données brutes.
Pourquoi ? Parce que certaines informations brutes douteuses ou celles erronées sont retirées afin d'éviter la contamination des fichiers opérationnels. Cette façon de travailler ouvre la porte à toutes les interprétations sur la qualité des résultats obtenus à partir de tels fichiers.
Depuis novembre, la polémique au sujet du réchauffement des températures moyennes de la Terre est animée par des groupes mettant en doute la qualité du fichier de données du CRU (Climatic Research Unit de l'université d'East Anglia du Royaume-Uni), ou pis encore, mettant en cause l'intégrité de chercheurs d'aujourd'hui et de leurs prédécesseurs puisque la banque de données y a été bâtie pendant des décennies de travail.
Il faudrait plutôt travailler de concert pour l'élaboration d'un fichier universel de données. Face à l'ampleur des enjeux, il est urgent de mettre en place un fichier mondial, rassemblant les données météorologiques de l'ensemble des pays, et qui soit mis à la disposition du plus grand nombre possible de laboratoires de recherche afin de réaliser des études comparées et d'obtenir des résultats acceptés par tous. C'est la seule démarche scientifique qui ne prête pas à la critique ; des hypothèses antagonistes doivent pouvoir être testées à partir des mêmes jeux de données par plusieurs équipes qui emploient des méthodes différentes. La confrontation des méthodes, des techniques et des résultats fait partie de la controverse permanente qui est normale dans le monde scientifique.
Afin d'atteindre cet objectif, il faudrait que l'Organisation météorologique mondiale favorise l'utilisation gratuite des données climatiques pour la recherche. Le sommet de Copenhague aurait pu proposer d'appuyer économiquement la création d'une banque commune de données climatiques. En parallèle, pour accompagner la perte de revenus de certains services météorologiques, il faudrait mettre en place des mécanismes compensatoires pour permettre à tous les services de poursuivre correctement leurs activités, et notamment la collecte de données de terrain, base de la climatologie d'aujourd'hui et de demain.
Gil Mahé et Alain Gioda, hydro-climatologue et historien du climat à l'IRD.