Les douloureux tours de piste des animaux de cirques

Un lion blanc dans un cirque de Darmstadt (Allemagne) en 2013. Photo Fredrik Von Erichsen. EPA. MAXPP
Un lion blanc dans un cirque de Darmstadt (Allemagne) en 2013. Photo Fredrik Von Erichsen. EPA. MAXPP

L’exploitation d’animaux sauvages par les cirques suscite un émoi grandissant dans l’opinion publique, et 22 pays européens ont déjà légiféré pour la limiter ou l’interdire. Mais la France fait figure de retardataire. Selon les défenseurs de cette pratique, ces animaux ne possèdent pas les mêmes besoins que leurs semblables sauvages parce qu’ils sont issus de lignées nées en captivité depuis plusieurs générations.

Ce point de vue est-il recevable à la lumière des connaissances scientifiques actuelles ?

Apprivoisé ou domestiqué, une différence cruciale

Les animaux sauvages des cirques sont qualifiés d’«apprivoisés» car il s’agit d’individus qui vivent au contact de l’homme et ont souvent été élevés par leurs dresseurs. Le terme «domestiqué» ne s’applique pas aux individus mais aux espèces, et désigne le résultat d’un long travail de sélection artificielle, opéré sur des dizaines de générations successives. Une espèce est donc considérée domestiquée lorsqu’elle a subi des modifications génétiques qui façonnent son apparence, sa physiologie et ses comportements en vue de favoriser l’émergence de caractéristiques particulières, comme la docilité. La reproduction des animaux de cirques est non-sélective. Elle s’effectue au gré des reproducteurs disponibles, et les lignées d’animaux de cirques comptent au plus quelques générations (et certaines espèces ne se reproduisent pas en captivité, comme les éléphants). Les animaux sauvages des cirques ne sont donc pas domestiqués, et présentent de ce fait le patrimoine génétique et les besoins caractéristiques de leur espèce. L’incapacité à les satisfaire est source de souffrances. Ainsi, une célèbre expérience sur des visons a montré qu’être privés de baignade était pour eux aussi stressant qu’être affamés. Les conditions de détention des animaux de cirques sont incompatibles avec la satisfaction de tels besoins vitaux à plusieurs titres, tout particulièrement dans le cas des grands mammifères, très prisés des cirques.

Un confinement inadéquat

Certes, les animaux captifs ne connaissent ni la faim ni la prédation et peuvent bénéficier de soins vétérinaires. Cependant, de nombreuses espèces (les éléphants) supportent mal la captivité. Elles y vivent moins longtemps qu’à l’état sauvage, s’y reproduisent difficilement et développent de graves troubles comportementaux. Les animaux de cirque vivent dans des cages ou des espaces très confinés, et passent seulement quelques heures par jour dans des enclos extérieurs dont la taille atteint rarement les très faibles standards réglementaires. Ainsi, la réglementation française (qui n’est pas toujours respectée) impose un espace intérieur de 7 m2 pour un tigre, avec quatre heures par jour d’accès à une aire de détente de 60 m2. Pour rappel, un tigre adulte pèse de 150 kilos à 200 kilos, et parcourt quotidiennement dans la nature un territoire de 50 km2 - 200 km2. Ce confinement provoque l’apparition d’anomalies comportementales comme des stéréotypies (répétitions ritualisées d’un ou plusieurs mouvements sans but apparent), qui occupent 25 % - 30 % du temps des éléphants ou des ours de cirques. Absentes dans la nature, ces stéréotypies traduisent un état de mal-être psychologique, et leur fréquence est particulièrement élevée chez les espèces qui possèdent de larges domaines vitaux à l’état naturel (les éléphants, les grands carnivores et de nombreux primates non-humains, témoignant de l’inadéquation du confinement dans de tels cas).

Une vie sociale perturbée

L’environnement social des animaux de cirques est souvent perturbé dès le plus jeune âge, lorsque les petits sont séparés de la mère pour être élevés par l’homme. Le sevrage précoce laisse des séquelles irréversibles, dont une sensibilité exacerbée au stress et aux troubles du comportement, notamment social. Les animaux de cirques sont souvent hébergés seuls ou en groupes dont la taille et la composition ne reflètent pas leur organisation sociale naturelle : les tigres, naturellement solitaires, sont souvent contraints de vivre en groupe, ce qui entraîne conflits et blessures à répétition auxquels les animaux ne peuvent échapper. Ce stress social chronique peut être à l’origine d’une détérioration de la santé et de syndromes dépressifs. A l’opposé, chez les mammifères sociaux (l’éléphant et de nombreux primates), l’isolement social, aussi fréquent dans les cirques, constitue un facteur de risque majeur pour la santé physique et psychique, tout comme chez l’homme. Ainsi, 90 % à 100 % de macaques vivant seuls en cage expriment des comportements anormaux.

Le stress de l’itinérance et des représentations

Les animaux de cirques voyagent parfois quotidiennement, ce qui implique des mouvements forcés lors des charges et décharges, et un confinement extrême, parfois long, pendant les déplacements. Les conditions de transport, parfois inadaptées, peuvent les exposer à la chaleur, au froid, à des bruits et à des secousses inconfortables, voire pire : cette année, une éléphante a été tuée et deux autres gravement blessées dans un accident de la route. Les animaux de cirques ne peuvent se soustraire au public, même en temps de repos, et sont exposés à des stimuli visuels, sonores, et olfactifs stressants lors des représentations. Chez les tigres, la fréquence des stéréotypies augmente de 80 % juste avant et pendant la représentation, illustrant l’intensité du stress induit par cette contrainte quasi quotidienne. Certains artistes ont même rythmé leur numéro sur le balancement pathologique des éléphants. De plus, les postures physiques imposées aux animaux durant les spectacles, inadaptées à leur morphologie, peuvent causer des blessures (problèmes articulaires chez les éléphants). Bien que les méthodes de dressage soient rarement dévoilées, elles sont une source de souffrance majeure si elles impliquent des violences physiques, et des témoignages issus du monde du cirque, dont le récent ouvrage de Joseph Bouglione, confirment l’existence de telles pratiques.

Auteurs:
Elise Huchard,
docteure vétérinaire et chargée de recherches en écologie comportementale
Alice Baniel, chercheuse post-doctorale en écologie comportementale.
Alecia Carter chargée de recherches en écologie comportementale.
Aurélie Célerier, maître de conférences en biologie du comportement.
Franck Chaduc, docteur vétérinaire.
Marie Charpentier, directrice de recherches en écologie comportementale.
Philippe Devienne docteur vétérinaire et philosophe.
Bernard Godelle, professeur d’université en biologie évolutive.
Bruno Lassalle, docteur vétérinaire.
Emmanuelle Pouydebat, directrice de recherches en biologie évolutive.
Cédric Sueur, maître de conférences en éthologie.
Frédéric Veyrunes chargé de recherches en biologie évolutive.
Christine Webb chercheuse post-doctorale en écologie comportementale.

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