Les Ecossais capteront-ils encore la BBC ?

Le nationalisme écossais m’a toujours laissé sceptique. Il y a quelque chose de théâtral là-dedans, comme si nous espérions secrètement être un chouïa plus opprimés. Je comprends les Irlandais quand ils expriment leur haine des Anglais. J’ai plus de mal avec mes compatriotes écossais et leurs sempiternelles litanies sur les torts et les travers britanniques ou leurs douteuses théories du complot déclamées avec l’intensité dramatique de résistants français regardant les chars allemands défiler sous leurs fenêtres. Les nationalistes écossais, je les vois en réalité comme une bande d’adolescents attardés tout droit sortis d’un bizutage bien arrosé, la plupart d’entre eux ayant un peu trop vu le film Braveheart.

C’est la faute aux Anglais ! Toujours les Anglais, ces salauds ! Pourquoi tant d’Ecossais ont-ils trouvé la mort à El-Alamein ? Parce que les Anglais n’ont que faire des soldats des provinces, voilà pourquoi ! (à moins que les Ecossais n’aient été au mauvais endroit au mauvais moment lorsque Rommel a lancé son attaque). Et pourquoi tant de Gallois ont-ils trouvé la mort aux Falklands ? Sans doute parce qu’un missile Exocet a percuté le vaisseau de la garde galloise, causant près de la moitié des victimes de cette guerre… c’est le genre d’absurdités que j’entendais à l’école et plus tard à l’armée. Toujours la faute aux Anglais !

Puis vint Maggie Thatcher, et, pour la première fois, les nationalistes eurent raison. Elle a plus fait pour les nationalistes écossais que Mel Gibson. Elle leur a donné l’occasion de se rallier contre un ennemi véritable. Quoique n’ayant rien de particulier contre l’Ecosse, Thatcher sabordait économiquement tout ce qu’elle touchait, à commencer par sa propre maison.

Et donc jeudi, ces crétins délirants (les nationalistes écossais) apporteront leur soutien au référendum de sortie de l’Union. Qu’arrivera-t-il exactement si l’Ecosse gagne son indépendance ? Rejoindra-t-elle la zone euro ? Adhèrera-t-elle aux accords de Schengen ? Ce qui entraînerait la fermeture de la frontière avec l’Angleterre. Allons-nous voir surgir des fils barbelés et des tours de contrôles dans les paisibles villes frontalières ? Les retraités écossais se retrouveront-ils brutalement privés de leurs allocations santé ? Personne n’en sait rien. Je défie quiconque de pouvoir donner une réponse définitive à toutes ces questions. Sérieusement… ces idiots qui veulent quitter un système économique en bon état de marche pour se jeter dans l’inconnu ne savent même pas si l’Ecosse captera encore la BBC !

Bien entendu, ils ne veulent pas admettre qu’ils ne savent pas. Ils ont tout un tas de slogans convaincants et font des promesses de réductions d’impôt et d’augmentation des salaires. Mais la réalité est qu’ils ne savent pas où ils vont. Le pétrole de la mer du Nord paiera pour tout ! Napoléon avait promis richesses et prospérité à ses soldats avant de les envoyer se faire tuer en Russie. Herbert Hoover avait promis «un poulet dans chaque marmite» avant que les Etats-Unis ne plongent dans la Grande Dépression. Et personne pour endosser une quelconque responsabilité. Napoléon est mort dix ans plus tard sur une île ensoleillée, et Hoover a vécu jusqu’à 90 ans, sans jamais souffrir ni de faim ni de soif.

Possible qu’Alex Salmond, le leader des nationalistes, devienne un grand Premier ministre écossais. Possible aussi qu’après deux ou trois années d’indépendance, il regarde - sous un ciel fumeux - le champ de ruines entre Edimbourg et Glasgow, et qu’il se dise : «Woh… et si j’avais fait une terrible erreur ?» avant de regagner son meublé londonien à bord d’un hélicoptère privé. La réalité de ce qui se passera se trouve sans doute dans l’entre-deux, mais c’est précisément cet «entre-deux» qui tue : une économie en berne, la disparition des services, l’érosion progressive de tout ce qui «allait de soi». Sans compter que personne ne semble se poser la question essentielle, celle qui nous donne la raison la plus convaincante de voter «non».

Cette question est : pourquoi maintenant ? Après deux cent treize années d’Union, pourquoi sommes-nous soudainement autorisés à nous exprimer et à faire sécession si nous le souhaitons ? D’où cela vient-il ? Il y a trente ans, les nationalistes écossais étaient considérés comme des hurluberlus marginaux, les Hare Krishna de la scène politique britannique, aujourd’hui, ils sont mainstream. Il y a trente ans, le pétrole de la mer du Nord coulait à flots et les Anglais n’auraient jamais autorisé un vote de sécession. Nous sommes invités à partir si nous le souhaitons et personne ne s’étonne de ce changement d’attitude.

J’aime les Anglais, mais je ne leur fais pas confiance. En 1999, ils n’ont pas restitué Hongkong à la Chine par esprit de justice. Ils l’ont fait, parce que la Chine était devenue un partenaire commercial majeur et que cela n’avait aucun sens de maintenir une base de l’autre côté du monde. Les Anglais sont toujours guidés par le bon sens de l’économie de marché, sans doute la décision de laisser sortir l’Ecosse de l’Union a-t-elle quelque chose à voir avec leurs intérêts.

Les gens de pouvoir en Angleterre - pas les politiciens, ces mannequins vitrine de la démocratie - ceux qui ont réellement le pouvoir, les patrons de la British Petroleum et de la banque Barclays, les détenteurs du vieux patrimoine britannique planqué dans des demeures bucoliques, ceux-là ne risqueraient jamais leurs intérêts économiques en accordant au lumpenproletariat la possibilité de faire un choix.

Un de leurs comptables aura fait quelque calcul mathématique démontrant que l’Ecosse ne peut plus être un investissement viable à long terme. Les réserves pétrolières de la mer du Nord finiront bien par s’épuiser et quand cela arrivera, les retraités écossais et les étudiants des universités pèseront de tout leur poids sur l’économie britannique. Mieux vaut couper les ponts dès maintenant. Les péquenauds s’autosortent, par le vote !

Voilà pourquoi les Ecossais devraient repenser leur indépendance. Si nous voulons vraiment nous en prendre aux Anglais, restons avec eux. Nous serons le bâton dans leurs roues britanniques et n’aurons pas à risquer notre subsistance sur les vagues promesses de quelques mythomanes brandissant «la fierté écossaise» pour assouvir leur soif de pouvoir. Et plus sérieusement, pas de BBC ? Qui voterait pour un truc pareil ?

Iain Levison, ecrivain. Traduit de l’anglais par Florence Illouz.

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