Les écrans d’ordinateurs sont aussi de grands responsables du réchauffement climatique

La conférence de Paris sur le changement climatique s’annonce comme une opération de communication majeure. L’écologie est un domaine dans lequel les régimes occidentaux n’ont pas peur d’élever le niveau de mensonge à des hauteurs soviétiques : à mesure que la recherche de miettes de croissance pousse à des excès toujours plus destructeurs dans tous les recoins du globe, la propagande sur la « transition » et le verdissement du développement industriel se fait plus Prenons le gouvernement qui organise la dite « COP 21 » : la seule mesure de la présidence Hollande qui soit allée dans le sens de la tempérance en matière de consommation d’hydrocarbures est le moratoire sur l’extraction de gaz et pétroles de schiste en France, prononcé en 2013.

Les écrans d’ordinateurs sont aussi de grands responsables du réchauffement climatiqueIl ne vaut cependant que pour la métropole, pas pour le littoral guyanais par exemple, où les compagnies pétrolières ont tout loisir de chercher des gisements au fond de la mer. Il ne signifie pas que l’Etat cesse de soutenir Total dans ses recherches et son exploitation de pétrole conventionnel, en Afrique par exemple. Il n’empêche nullement d’encourager à tout va le développement du trafic aérien, en totale contradiction avec l’objectif prétendu de réduction des rejets de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

Que cela soit ou non directement lié à l’usage de combustibles fossiles, tous nos sens nous indiquent chaque jour combien l’impératif du redressement productif règne sans partage sur nos territoires et nos vies : pics de pollution de plus en plus spectaculaires et insolubles dans les grandes villes ; multiplication des fermes-usines dans les campagnes ; avancée implacable de l’asphalte et du béton sur les terres arables ou les forêts, pour installer de nouveaux parkings, centres commerciaux et lotissements ; extension des lignes à très haute tension et des fermes d’éoliennes industrielles.

Rideau de fumée médiatique

L’organisation de la COP 21 vise évidemment à tenter de camoufler tout cela par un rideau de fumée médiatique. Mais son plus grand intérêt, pour les milieux dirigeants, réside dans la réduction du problème écologique à une seule dimension, la lutte contre les-gaz-à-effets-de-serre-qui- réchauffent-le-climat, alors que la destruction de notre milieu de vie par l’activité économique est un phénomène multidimensionnel. En premier lieu, la focalisation sur le dioxyde de carbone détourne l’attention du nucléaire, technologie polluante et meurtrière s’il en est. Le témoignage le plus frappant en est donné par la fresque du dernier prix Nobel de littérature, la Biélorusse Svetlana Alexeïvitch, sur l’accident de Tchernobyl (La Supplication, Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse, Actes Sud, 1997).

En second lieu, le mot d’ordre « sauvons le climat » jette un voile pudique sur les pollutions et les prédations considérables générées par les projets industriels tous azimuts visant à équiper chaque être humain de smartphones, écrans de toutes tailles et autres objets intelligents (réfrigérateurs ou compteurs électriques Linky, munis de puces RFID qui les connectent au réseau internet). Un des succès les plus remarquables du capitalisme des années 2000 est en effet d’avoir nimbé les Technologies de l’information et de la communication (TIC) d’une aura d’écologie et de durabilité, quand c’est leur prolifération tentaculaire qui est en train de devenir le levier majeur de la dévastation du monde.

Il est pourtant connu depuis plusieurs années que le secteur des TIC est à l’origine d’une quantité de gaz à effet de serre comparable à celle que produit l’aviation. La consommation électrique annuelle des fameux data centers, à l’échelle mondiale, était évaluée en 2012 à 30 millions de kWh, soit l’équivalent de la production de trente centrales nucléaires, sachant que ces centres sont voués à se multiplier avec l’augmentation du trafic sur internet. L’extraction des nombreux composants métalliques présents dans les appareils électroniques est souvent très polluante, toujours énergivore et exige de grandes quantités d’eau.

Enfin, l’obsolescence rapide des produits génère des montagnes de déchets qui atterrissent en général dans l’hémisphère Sud – par exemple dans les sinistres cimetières d’ordinateurs du Ghana. Rien de tout cela n’empêche l’État français de promouvoir les TIC comme le fondement d’un futur plus écologique. Un exemple parmi tant d’autres : l’ensemble de la classe politique ne jure que par l’enseignement numérique. L’équipement des écoles de la République en I-Pads et autres tablettes se poursuit à vive allure, sans aucune restriction budgétaire. Les élèves ne pourront bientôt plus accéder aux Humanités que par le truchement d’objets produits dans des conditions absolument inhumaines, notamment dans les bagnes capitalistes de la Chine « communiste ».

Silence radio sur la nécessité de modérer ses besoins

Ainsi, la réflexion sur l’énergie qu’est censée susciter la conférence de Paris élude le problème fondamental de la croissance incessante des quantités d’énergie dépensées dans notre société de surproduction, entre autres du fait des TIC depuis 15 ans. Dans les années 1970, lors du premier choc pétrolier, on avait entendu jusque dans la bouche de hauts responsables politiques des appels à modérer les besoins, individuels et collectifs, en énergie. Mais depuis le début de la deuxième alarme écologique, dans les années 2000, cette nécessité de bon sens n’est jamais évoquée, fût-ce pour le quinquennat Hollande aura sans surprise été marqué par la poursuite de cette fuite en avant technoproductiviste. Il aura surtout été marqué par une hausse du niveau de violence contre les groupes qui s’opposent concrètement à cette fuite.

À chaque fois que des oppositions obstinées et sans concession ont vu le jour contre la construction de lignes THT en Normandie (2012), contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (2012 également), et contre le barrage de Sivens (2014), l’État français n’a pas hésité à blesser, mutiler et, finalement, le 25 octobre 2014, à tuer. C’est à l’aune de cette répression sauvage qu’il faut juger les appels à participer à la « COP 21 », lancés par le pouvoir à la société civile. C’est à l’aune des traitements de choc infligés aux occupants des Zones à Défendre (ZAD) qu’il faut juger les préoccupations écologiques des élites politiques et économiques. Tous ceux qui appellent un chat un chat – qui ne se laissent pas conter que croissance et préservation du milieu naturel seraient compatibles –, tous ceux-là sont partout reçus à la matraque et à la grenade. À la veille de l’ouverture de la conférence-climat, l’annonce par le gouvernement Valls de la reprise prochaine des travaux du deuxième aéroport de Nantes pose une curieuse question : et si ce sigle à connotation policière, « COP 21 », était le nom de code de la prochaine opération César préparée par l’État pour évacuer les habitants de Notre-Dame-des-Landes – ces centaines de personnes qui ébauchent concrètement, au-delà des mots et des chiffres, une vie où la satisfaction des besoins de certains ne passerait pas par l’exploitation des autres et le saccage du monde qui nous a tous vu naître ?

Matthieu Amiech est éditeur ; Aurélien Berlan enseigne la philosophie ; Célia Izoard est journaliste et traductrice. Ils ont participé au dernier ouvrage du groupe Mouvement Autonome de Résistance Critique à l’Usage des Survivants de l’Économie (MARCUSE) sur l’informatique, La Liberté dans le coma. Essai sur l’identification électronique et les motifs de s’y opposer (La Lenteur, 2013).

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