Les effets incertains du geste positif d’Obama envers Cuba

Depuis la poignée de main entre Barack Obama et Raul Castro aux obsèques de Nelson Mandela en 2013, on pouvait supposer une volonté réciproque de rapprochement. C’est devenu manifeste depuis mercredi lorsque les deux présidents ont annoncé simultanément, dans des messages séparés à Washington et à La Havane, leur accord sur des mesures concrètes pour un changement historique dans les relations entre les deux pays. Libération par Washington des trois agents cubains prisonniers aux Etats-Unis depuis 1998 et celle, en retour, de Alan Gross, emprisonné à Cuba depuis 2009, et mesures d’assouplissement visant la levée de l’embargo et la libre circulation des personnes.

Barack Obama a déclaré en espagnol : « Nous sommes tous Américains », inscrivant subrepticement le rétablissement progressif des relations diplomatiques avec Cuba dans la ligne du président démocrate Monroe qui, en 1823, déclarait à l’encontre des prétentions européennes sur l’hémisphère « l’Amérique aux Américains ».

M. Obama a en effet reconnu l’échec de la politique américaine au cours des cinquante dernières années. Alors que la rupture avec Cuba et l’embargo imposé depuis 1962 à l’île visait à faire pression en faveur d’une ouverture politique et économique, Barack Obama a observé que cette stratégie avait été contre-productive, contribuant à la poursuite de la politique et de l’économie autoritaires.

Les conséquences de la levée de l’embargo seraient en effet importantes. Economiques d’abord, et en premier lieu pour les capitaux nord-américains qui pourront s’investir dans tous les secteurs, comme ils l’ont fait au Vietnam après la normalisation des relations entre les deux pays, tandis que les Européens étaient tenus en lisière. Pour les Cubains, qui verraient leurs conditions matérielles s’améliorer au quotidien.

D’autant que l’accord entre les Etats-Unis et Cuba survient au moment où l’économie du Venezuela, qui maintenait Cuba sous perfusion, est dans une situation catastrophique du fait de la gestion chaviste calamiteuse et de la baisse des prix du pétrole. Si les Etats-unis se substituent au Venezuela, dont les transferts de fonds actuels s’élèvent de 4 à 5 milliards de dollars par an, Cuba verrait fortement augmenter ces flux financiers.

Opposition farouche

Mais l’achèvement de cette nouvelle politique promue par Obama risque de se heurter au vote du Congrès américain, désormais à majorité républicaine. On connaît les fortes réticences de la part d’une grande partie des républicains, partisans obtus de la mano dura (« main dure ») comme on dit en Amérique latine. Ainsi, Jeb Bush a aussitôt déclaré que les « bénéficiaires » de cette décision seront les « abjects frères Castro, qui ont opprimé le peuple cubain depuis des décennies ». Quant à John Boehner, président de la Chambre basse du Congrès, il estime que ces mesures visant à lever certaines des restrictions sur l’île sont de nouvelles « concessions à la dictature insensée qui maltraite son peuple et revient à conspirer avec les ennemis ».

Opposition farouche relayée par des figures de l’anticastrisme comme le sénateur de Floride d’origine cubaine Marco Rubio, qui a promis de faire « tout son possible » pour bloquer l’action du président au Congrès. L’élue cubano-américaine de Floride, Ileana Ros-Lehtinen, a considéré pour sa part que « l’action erronée du président Obama (…) est un autre coup de propagande pour les frères Castro qui remplissent désormais leurs coffres avec plus d’argent, au détriment du peuple cubain ».

Toutefois, Obama trouvera peut-être une majorité au Congrès en faveur de sa nouvelle politique car, outre le soutien sans faille de John Kerry et du chef de la majorité démocrate du Sénat, Harry Reid, ainsi que des sénateurs Dick Durbin et Jim McGovern, plusieurs sondages suggèrent que la plupart des Américains se déclarent désormais en faveur d’une normalisation croissante des relations avec Cuba.

Quant aux réactions en Amérique latine, elles sont unanimement favorables. Pour le secrétaire général de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), Ernesto Samper, « il est temps de penser à une relance des relations hémisphériques avec les Etats-Unis ». Pour le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA), José Miguel Insulza, les deux parties ont fait preuve d’une « remarquable grandeur d’âme » et il a exhorté le Congrès américain à « prendre les mesures législatives nécessaires pour lever l’embargo contre Cuba ».

Le président du Panama, Juan Carlos Varela, a espéré que cela permettra d’accomplir le « rêve » d’avoir une « région unie » lors du septième sommet des Amériques, que son pays accueillera en avril 2015. Cuba (qui refusait de rejoindre l’OEA, malgré l’invitation officielle qui lui a été faite en juin 2009) a déjà confirmé sa participation au sommet, et Obama a annoncé qu’il sera présent les 10 et 11 avril avec ses pairs du reste de l’Amérique.

Au demeurant, l’engagement des Etats-Unis vis-à-vis de Cuba dépend de deux éléments. Le premier, que l’action du lobby anticastriste au Congrès ne soit qu’un baroud d’honneur, obtenant au maximum une résolution condamnant l’action du président qui serait symbolique mais avec peu d’effets pratiques. Le second élément consiste dans les changements qu’est prêt à faire le gouvernement cubain. Certes, une autre concession cubaine à consisté dans la libération de 65 dissidents emprisonnés. Mais rien ne garantit que Cuba soit prêt à court terme à tolérer la dissidence et à cesser de persécuter les opposants.

La libéralisation politique du régime cubain sera sans doute un processus de longue haleine. Toutefois, la logorrhée anti-impérialiste, ciment du peuple cubain avec ses dirigeants contre l’adversité, perd avec la levée de l’embargo son plus solide argument de propagande. Gageons donc de la sagesse du peuple américain et de ses représentants.

Par Renée Fregosi, Directrice de recherche en science politique à l’IHEAL-Creda Paris-III-Sorbonne nouvelle.

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