Les enfants du Népal ont besoin de soutien, pas d’orphelinats

L’Unicef estime à presque 3 millions le nombre d’enfants affectés par le tremblement de terre au Népal. Ces enfants ont besoin d’une aide rapide. Ils ont survécu au séisme et à ses répliques mais certains se retrouvent séparés de leur famille. Des enfants orphelins? Difficile de répondre à cette question vu le chaos qui règne encore dans le pays. Les enfants du Népal ont besoin d’aide, mais pas n’importe laquelle.

En période de crise, l’émotionnel et le sensationnalisme forment parfois un cocktail explosif. En 2010, lors du tremblement de terre qui secoua Haïti, des vagues d’étrangers débarquèrent pour secourir des «orphelins», soit en les sortant du pays pour les faire adopter à l’étranger, soit en finançant des orphelinats dans lesquels ces enfants furent placés. Les orphelinats devinrent des solutions permanentes et le problème n’a cessé de croître depuis. A Haïti, 80% des 30 000 enfants vivant en orphelinat ne sont pas orphelins et pourraient vivre avec un ou deux de leurs parents. Ces chiffres reflètent une situation bien plus globale: parmi les 8 millions d’enfants qui vivent en institution à travers le monde, 80% ne sont pas orphelins.

L’histoire se répète et les leçons n’ont pas été tirées des événements de 2004 à la suite du tsunami qui a dévasté les côtes de l’Asie du Sud-Est. Là aussi, l’aide humanitaire est arrivée en masse et, parallèlement, le nombre de nouveaux orphelinats a explosé, par exemple à Banda Aceh en Indonésie. Ces orphelinats ont été financés par la communauté internationale pour répondre à la crise humanitaire. Parmi les enfants placés, 85% d’entre eux avaient au moins un parent vivant.

L’orphelinat est ancré dans les consciences collectives comme une solution évidente. Pourtant, des années de recherches scientifiques prouvent que l’institutionnalisation a un effet néfaste sur le développement et le bien-être de l’enfant: troubles du comportement, capacités sociales et intellectuelles réduites, risques élevés d’abus par le personnel des institutions et par les autres enfants. L’Unicef et les professionnels de la protection de l’enfance s’accordent sur ce point: les enfants n’ont pas besoin d’orphelinat, ils ont besoin que l’on soutienne leur famille afin qu’elle soit en mesure de s’occuper d’eux. Lorsqu’un enfant n’a plus ses parents, il a besoin d’être placé au sein de sa famille élargie (grands-parents, oncles, tantes, cousins, etc.) ou dans une famille d’accueil. Nous savons également qu’il est beaucoup plus coûteux de soutenir un enfant en orphelinat que d’investir dans des services permettant aux familles de fonctionner.

L’histoire se répétera-t-elle encore au Népal? Depuis la guerre civile (1996-2006), les enfants de familles vulnérables qui vivent dans les provinces rurales sont la proie de trafiquants qui promettent à leurs parents une éducation et une perspective d’avenir dans des orphelinats à Katmandou. Une fois dans ces centres, les directeurs y accueillent des touristes et des volontaires dont ils espèrent recevoir des dons. C’est ce qu’on appelle le «tourisme» ou «volontourisme d’orphelinat», ou de manière plus cynique la pratique du hug-an-orphan vacation. Les enfants sont utilisés comme des commodités pour obtenir de l’argent de donateurs et volontaires bien intentionnés qui soutiennent ces «orphelinats», persuadés d’aider de vrais orphelins, ou en tout cas des enfants qui n’ont pas d’alternative.

L’Unicef et de nombreux professionnels de la protection de l’enfance tirent ainsi la sonnette d’alarme, craignant que cette dynamique ne prenne de l’ampleur dans le chaos actuel. Les fonds de l’aide internationale affluent, les orphelinats de la capitale offrent des centaines de places supplémentaires et les secours n’atteignent pas les villages reculés assez rapidement pour empêcher le flux d’enfants envoyés par des intermédiaires loin de leur famille dans des orphelinats à Katmandou. Des orphelinats qui n’hésitent pas à poster les photos de ces nouveaux «orphelins» sur les réseaux sociaux pour soulever des fonds.

Quelle est la réponse la plus adéquate? Au lieu d’accueillir les enfants «perdus» dans des orphelinats dont ils ne sortiront probablement plus, ils doivent être pris en charge dans des structures temporaires adaptées à leurs besoins, le temps de localiser leur famille. Au Népal, l’Unicef et en particulier l’ONG Next Generation Nepal (membre du réseau Better Volunteering, Better Care) mènent une course contre la montre pour réunir au plus vite les enfants avec leurs familles. Des centres de transit sont ouverts de manière temporaire afin d’offrir refuge et assistance à ces enfants tout en recherchant activement des membres de leur famille. Ces organisations ont lancé un appel à la communauté internationale pour décourager les volontaires de prêter main-forte aux orphelinats.

Alors, comment aider de manière responsable? En prenant la peine de se renseigner sur l’action des organisations actives sur place ou en contactant par exemple les membres du réseau Better Volunteering, Better Care dont fait partie Friends International.

Les images de la tragédie du Népal nous ont tous ébranlés. Nous avons une responsabilité: faire en sorte que notre émotion et nos bonnes intentions n’aient pas de conséquences négatives sur la vie de ces enfants.

Emmanuelle Werner Gillioz, directrice du Bureau suisse de Friends International.

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