Les Etats-Unis doivent démontrer que la police n’est pas que le reflet des inégalités et de la violence

Depuis les émeutes de Ferguson (Missouri) de 2014, les Etats-Unis sont entrés dans une phase tumultueuse où s’entremêlent violences policières et tensions raciales.

La dimension raciale est évidente, que l’on songe aux victimes – à l’image de Michael Brown à Ferguson, ou Philando Castile dans le Minnesota, les cas les plus connus de violences policières concernent des Afro-Américains –, à la mobilisation du mouvement Black Lives Matter (« les vies noires comptent »), aux déclarations du président Obama sur les disparités raciales du système judiciaire ou aux événements tragiques de Dallas (Texas) où des policiers sont tués parce qu’ils sont blancs.

Les faits sont incontestables : les Noirs représentent une part plus que proportionnelle dans les personnes tuées par la police. Selon les chiffres du Washington Post, sur les 990 personnes tuées par la police en 2015, 258 étaient noires (soit 38,3 %, alors qu’ils représentent 12,6 % de la population américaine).

La question de l’usage de la force

Quel que soit le chaînon du système judiciaire américain, la question raciale est omniprésente : du driving while black (où des policiers contrôlent plus fréquemment des voitures conduites par des Noirs, essentiellement parce qu’ils les soupçonnent de transporter de la drogue) aux peines d’emprisonnement (dans les prisons fédérales et d’Etat, le taux d’incarcération des hommes noirs est 6,7 fois supérieur à celui des Blancs).

Mais on aurait tort d’y voir seulement une question raciale, le problème est aussi celui de l’usage de la force létale par la police, dans une société où plus de 300 millions d’armes sont en circulation.

Quelques chiffres simples permettent de prendre la mesure de la singularité américaine, même si les lacunes des données officielles obligent à la prudence : 140 morts de policiers en moyenne par an sur ces dix dernières années (contre cinq par an en moyenne en France, soit – rapporté à la population – environ six fois moins qu’aux Etats-Unis), 990 morts par des tirs policiers en 2015 (contre 2,7 en moyenne par an France, soit environ soixante-seize fois moins qu’aux Etats-Unis). L’écart vertigineux oblige à s’interroger sur les politiques que doivent adopter les quelque 18 000 polices américaines en termes de réglementation, d’entraînement et d’équipement.

Des tirs « affreux mais légaux »

La Cour suprême des Etats-Unis, dans son arrêt Graham vs Connor de 1968, délimite de façon très souple ce que peut faire un policier. La question de la proportionnalité de l’usage de la force n’intervient que très peu et la Cour se montre compréhensive : le policier doit prendre des décisions dans un temps limité.

Des tirs, « affreux mais légaux » (lawful but awful), ne sont donc pas l’objet de condamnations. De surcroît, dans un univers professionnel où l’une des règles de base est de pouvoir rentrer chez soi sain et sauf, la protection des policiers devient une préoccupation centrale, quitte à faire usage de son arme : la formule « mieux vaut être jugé par douze que transporté par six » traduit bien cet état d’esprit.

Dans certaines polices, sous la pression syndicale, les policiers auteurs de coup de feu ne sont interrogés par les services internes que quarante-huit heures après les faits, en raison du stress causé par ces tirs.

Le policier, un gardien, pas un guerrier

Que faire alors ? Les contextes de crise politique permettent à certaines propositions qui jusque-là flottent dans l’air de trouver une oreille favorable chez les responsables politiques et policiers.

Le président Obama a vite réagi aux événements de Ferguson, en mettant en place une task force sur la police du XXIe siècle, qui a rappelé quelques principes essentiels : la nécessaire confiance entre citoyens et police, l’engagement de cette dernière avec les communautés. Un principe sage est rappelé : le policier n’est pas un guerrier mais un gardien.

Sur la question des tirs policiers plus spécifiquement, le Police Executive Research Forum, think-tank qui rassemble des experts et des chefs de police, a réalisé plusieurs rapports depuis 2015, dont ressortent quelques idées clés. Ils préconisent d’instaurer des réglementations sur l’usage des tirs – en interdisant, par exemple, de faire feu sur un véhicule en mouvement ou depuis un véhicule en mouvement, un principe qu’a fait sienne la police new-yorkaise avec succès depuis de nombreuses années –, de rendre obligatoire pour un policier le fait de rapporter l’usage excessif de la force par un de ses collègues, de rappeler le caractère sacré de toute vie humaine, etc.

Stratégies de désescalades

Surtout, partant du constat du caractère trop étroitement technique des formations (on apprend comment tirer mais pas pourquoi tirer), il recommande des cessions d’entraînement mettant les policiers en situation.

Il y a dans l’usage de la force létale une décision qui revient à l’agent sur le terrain : apprécier les différentes dimensions d’une situation, avoir les bonnes informations – d’où l’importance de la salle de commande –, se désengager s’il le faut.

Les stratégies de désescalades sont au cœur des recommandations. Certaines de ces pratiques sont déjà développées par des polices américaines, l’enjeu est maintenant qu’elles se diffusent à l’échelle nationale.

La situation présente n’est pas sans rappeler la fin des années 1960 où, après les émeutes raciales, les polices américaines s’étaient vues questionnées profondément dans leur mode de fonctionnement, leurs pratiques professionnelles et leurs relations avec les communautés, notamment afro-américaines.

Cette crise avait précédé une vague d’expérimentations puis la généralisation d’expériences de community policing (police de proximité) reposant sur des relations plus étroites entre les forces de l’ordre et les communautés (que celles-ci soient ethniques, religieuses ou territoriales).

Face à leurs vieux démons (le mélange explosif de la race et du crime), les Etats-Unis doivent démontrer que la police n’est pas que le reflet des inégalités et de la violence d’une société, mais qu’elle peut contribuer par ses pratiques de retenue à contrôler cette violence et à pacifier les relations sociales.

Jacques de Maillard, professeur de sciences politiques à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

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