Les "eurobonds" sont-ils la bonne solution ?

Pour Jean-Claude Juncker et Giulio Tremonti, la crise des dettes souveraines met l'Europe au pied du mur : elle doit apporter la preuve "de son engagement politique en faveur de l'union monétaire et économique et de l'irréversibilité de l'euro". Le moyen est d'émettre des euro-obligations (eurobonds) représentant jusqu'à 40 % du PIB de l'Union européenne (12 000 milliards d'euros en 2009). Ces "eurobonds" viendraient normalement en complément des emprunts nationaux mais aussi, en cas de crise, en substitution pour un pays ayant du mal à se refinancer. Le ton a vite monté contre cette initiative et le couple franco-allemand l'a écartée sèchement à Fribourg, vendredi 10 décembre, la jugeant pour le moins "prématurée".

La création d'eurobonds n'est pas nouvelle et elle a été souvent discutée depuis plusieurs années pour finir, à chaque occasion, par être repoussée. Pourquoi ? Parce que quelque soit la forme prise par ces eurobonds, ils posent la question du véritable engagement budgétaire que sont prêts à assumer les Etats. En d'autre termes, pas d'eurobonds sans que les Etats ne renoncent un peu à leur prérogatives nationales et ne s'engagent un peu plus dans la solidarité budgétaire c'est-à-dire sur la voie du fédéralisme.

L'idée d'émettre en commun est simple et attirante. Une agence de la dette européenne émettrait des eurobonds pour toute la zone et permettrait aux Etats membres de regrouper (certaines de) leurs émissions obligataires. Serait ainsi créé un marché plus vaste et plus liquide qui autoriserait des emprunts à moindre coût que ceux payés actuellement sur des marchés encore fragmentés dans la zone euro. On voit immédiatement les problèmes politiques qu'une telle solution soulèverait : le taux commun serait probablement plus élevé que celui auquel se financent l'Allemagne et certains autres pays de la zone euro. Pour échapper à cette question du taux unique qui pèserait sur l'Allemagne, on pourrait différencier la qualité des dettes et de la gestion publique d'un pays à l'autre. La question se poserait alors de définir le taux payé par chaque pays : faudrait-il un comité de politique budgétaire qui donnerait des notes à chaque membre de la zone euro ? Surtout, cette solution ne permet pas de régler la question de la solidarité entre les pays de la zone euro. Si l'agence européenne a prêté à une Grèce qui se trouve quelques années plus tard en situation difficile et qui ne peut rembourser… que fait-on ?

LA CONVERGENCE FISCALE

Les eurobonds, loin d'être une question seulement technique, renvoient directement au projet politique. Quelle solidarité, quels transferts budgétaires entre les Etats de la zone euro ? En clair, créer des eurobonds n'est possible que dans le cadre d'une volonté politique de poursuivre l'intégration budgétaire. Réunir dans un fond commun les émissions des Etats est au minimum accepter de faire confiance à chacun dans sa gestion budgétaire et dans la gestion de sa dette, c'est se doter d'une vision commune des dépenses des Etats, c'est se mettre d'accord sur un projet politique fiscal et social commun. Rappelons que la politique budgétaire des Etats sert à financer les actions régaliennes (sécurité, justice, immigration, défense), les actions de redistribution (tout le système de sécurité sociale) et enfin les actions visant à élever la croissance (politique d'innovation, d'éducation, de recherche). Aujourd'hui, ces politiques sont quasi-strictement nationales et elles sont financées par des impôts levés par les Etats-Nations.

Difficile d'envisager une issue à la crise des dettes sans envisager une plus forte intégration, c'est la question posée par les marchés et elle mérite examen. C'est pourquoi la question des eurobonds devrait être sérieusement considérée, non pas sous l'angle technique, mais véritablement sous l'angle politique. Une façon de procéder serait effectivement de mutualiser une partie de la dette existante (la solution Juncker-Tremonti) en l'échange de quoi Eurostat ou une autre agence européenne indépendante serait autorisée, au nom de la zone euro, à étudier directement les comptes de chaque pays (ce qui n'est toujours pas le cas).

Au-delà, il faudrait bien sur se poser la question de l'intégration fiscale et sociale. Il s'agirait alors de recenser les politiques qui pourraient disposer de ressources fiscales communes. Par exemple construire, comme aux Etats-Unis, un socle social minimal pour tous les Etats de la zone euro, chaque pays restant libre de complémenter sa politique sociale au delà de ce plus petit commun dénominateur. En regard de l'emprunt en eurobonds, ce socle minimal serait financé par un impôt commun sur le travail ou le capital ce qui ferait du même coup avancer la convergence fiscale. En parallèle, ce financement européen par eurobonds pourrait enfin être l'outil de lissage des conjonctures de la zone. En cas de récession, lorsque les dépenses "communes" s'accroîtraient au-delà des recettes "communes", l'agence émettrait des eurobonds qui seraient remboursés en période de retour à meilleure croissance.

La crise des dettes souveraines démontre que forcer l'intégration économique sans en assumer entièrement les conséquences politiques a des conséquences douloureuses. Lancer une obligation euro ne résoudrait pas l'ampleur des divergences de situations budgétaires creusées depuis dix ans. Mais cela pose la question indispensable du degré de solidarité budgétaire requis pour la soutenabilité de l'union monétaire. La remise en route de l'euro passe, inévitablement, par des outils comme les eurobonds et nécessite de poser la vraie question de l'intégration budgétaire de la zone euro.

Laurence Boone, chef économiste de Barclays Capital, et Raoul Salomon, managing directors chez Barclays Capital.

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