Les Européens doivent enrichir leur offre économique aux Etats de l’Europe orientale

Voir des centaines de milliers de personnes descendre dans les rues de Kiev pour exiger que leur pays rejoigne l'Union européenne (UE) devrait booster le moral de Bruxelles. Cela ne doit cependant pas masquer le fait que la politique de l'UE vis-à-vis de ses voisins orientaux a subi une série de revers au cours des derniers mois. Mais le plus inquiétant serait que l'Union ne dispose pas de plan B, et que ses frontières orientales restent floues.

Le sommet de Vilnius des 28 et 29 novembre était censé couronner un long processus de négociations visant à instaurer un large partenariat politique et économique. Pour l'UE, c'était une alternative à une coûteuse adhésion à part entière, un moyen non seulement d'établir une coopération mutuelle, mais également de stabiliser les pays situés aux frontières de l'Union.

NOUVELLE PUISSANCE RUSSE

Les résultats ont été décevants. Ni l'Arménie ni l'Ukraine, deux pays qui avaient été préparés à rejoindre l'accord d'association, ne l'ont signé. Quant à l'Azerbaïdjan et à la Biélorussie, ils ont déclaré ne pas souhaiter, même à long terme, rejoindre l'UE. Seules la Moldavie et la Géorgie, fermement proeuropéennes, ont adhéré à l'association.

La cause de cet échec porte un nom : la Russie. L'UE a considéré que sa proposition d'association était incompatible avec l'union douanière chapeautée par Moscou. En réalité, chaque pays devait choisir de se tourner soit vers l'Ouest, soit vers l'Est. Or cette logique, qui fonctionnait depuis l'effondrement de l'Union soviétique, est aujourd'hui dépassée. Avec l'émergence de la nouvelle puissance russe à l'est, le problème devait inévitablement se poser.

La contre-offensive russe a été rapide. Moscou a fait en sorte d'empêcher l'Arménie, dépendante de la Russie sur le plan énergétique, de signer un accord d'association avec l'UE pour la contraindre de rejoindre l'union douanière. La Russie a agi de la même manière pour dévoyer les projets de rapprochement entre l'Ukraine et l'UE.

L'Ukraine est dépendante des marchés et des importations d'énergie russes. Moscou a entravé les exportations ukrainiennes et a menacé de fermer ses frontières aux produits ukrainiens. Cette politique musclée a obtenu le résultat souhaité. Le gouvernement de Kiev a fait savoir qu'il n'était pas disposé à rejoindre l'accord d'association.

Cet échec ukrainien montre les limites de la puissance de l'UE. Il ne faut pas croire que proposer l'accès aux marchés européens suffit à régler les problèmes de pays dont l'économie n'est pas compétitive. On ignore ce que Vladimir Poutine a proposé à Viktor Ianoukovitch, mais il est clair que c'était plus que ce qu'offrait Bruxelles.

DES PRÊTS QUI ENTRAÎNERAIENT LA HAUSSE DU CHÔMAGE

Le président ukrainien a sollicité une aide de 20 milliards d'euros pour hisser son économie appauvrie au niveau européen. Or l'UE ne lui propose que 610 millions, soulignant que son pays pouvait emprunter le reste auprès du FMI dans le cadre d'un accord signé en 2010 pour un prêt de 11,5 milliards. Mais ces prêts sont assortis de conditions qui entraîneraient une forte hausse du chômage et feraient perdre à M. Ianoukovitch l'élection présidentielle de 2015.

La question essentielle est : quelle sera la place de la Russie dans la future architecture politique européenne ? Depuis vingt ans, l'expansion de l'UE à l'est s'est effectuée en dépit de Moscou et sur son ancienne zone d'influence. La Russie traversait une période troublée et n'était pas en mesure de stopper cette expansion ni celle de l'OTAN. Mais cette époque est révolue depuis la guerre de 2008 entre la Russie et la Géorgie.

Par ailleurs, la politique russe de l'UE manque d'imagination, alors qu'elle en aurait désespérément besoin. La compétition russo-européenne autour des territoires de l'Europe orientale et du Caucase est une lutte asymétrique.

L'Europe y apparaît comme une grosse et lourde machine dotée d'un cadre institutionnel et d'un processus de décision complexes. Elle fait face à une Russie dans laquelle le pouvoir est concentré entre les mains de Vladimir Poutine, un expert en manœuvres rapides et contre-attaques inopinées.

Il est possible qu'aujourd'hui l'UE ne dispose que d'une offre limitée à l'égard des pays d'Europe orientale qui lui restent extérieurs, qu'il s'agisse de l'Ukraine ou du Caucase. L'Europe devrait également apprendre à distinguer la politique extérieure de l'Ukraine de ses conflits internes.

MANŒUVRER EN PERMANENCE ENTRE DEUX BLOCS

La mobilisation de rue en cours à Kiev pourrait renverser le président Ianoukovitch, mais cela ne réglera pas tout. Cela s'est déjà produit une fois. Celui, quel qu'il soit, qui accédera au pouvoir à Kiev devra manœuvrer en permanence entre les deux blocs (UE et Russie) afin de tirer le meilleur parti possible de leur rivalité.

Cette concurrence entre les deux camps pourrait déstabiliser un peu plus les pays les plus fragiles. Tout comme l'orientation vers l'Ouest de la Géorgie lui a coûté l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, le choix de l'Ukraine de rejoindre l'un ou l'autre camp comporte des risques : la fracture culturelle entre la partie occidentale du pays, qui parle ukrainien, et les régions russophones de l'Est et du Sud se cristallise de plus en plus autour des identités politiques.

Ni la « révolution orange » de 2004 ni la mobilisation proeuropéenne actuelle n'ont réussi à combler ce fossé. L'économie ukrainienne se porte mal et, au lieu d'un choix exclusif, elle a besoin pour sa stabilité à la fois des marchés européen et russe. L'Ukraine a besoin d'une entente entre Bruxelles et Moscou qui ouvre des possibilités de coopération, et non d'accords exclusifs. Bruxelles est-elle prête à proposer un tel compromis à Kiev ?

Par Vicken Cheterian, chercheur indépendant à Genève. Traduit de l'anglais par Gilles Berton.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *