Cherchons. Pourquoi Mme Le Pen aime-t-elle tant la Russie d’aujourd’hui qu’elle avait invité au congrès du FN un représentant de Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine, qui donnait du «chers camarades» aux délégués frontistes ?
Ce ne peut pas être qu’elle voie un modèle, elle qui déteste tant l’Union européenne, dans cette Fédération de Russie qui regroupe plus de 80 «entités constituantes» dont bon nombre sont majoritairement musulmanes. Ce ne peut pas non plus être qu’elle approuve l’importation massive d’immigrés turcs à Moscou dont ils restaurent le centre historique et construisent les luxueux bâtiments proclamant l’opulence des nouveaux riches. Ce ne doit pas être non plus qu’elle apprécie le cosmopolitisme de cette capitale fédérale, le New York de l’Est, qui ferait passer le maléfique Bruxelles pour traditionaliste et monocolore. On peut encore moins imaginer - ce ne serait que mauvais procès - que Mme Le Pen s’enthousiasme de ces ratonnades contre les «culs noirs» caucasiens sur lesquelles la police moscovite ferme si obstinément les yeux.
Non. Aucune de ces explications ne tient la route mais alors quoi ? Ce n’est pas non plus l’argent car il ne faut pas confondre la cause et l’effet. Ce n’est pas parce que Mme Le Pen a trouvé 9 millions d’euros à emprunter à une banque russe qu’elle vibre pour la Russie mais, au contraire, parce qu’elle n’a qu’admiration pour Vladimir Poutine que ce prêt lui a été consenti.
Entre elle et lui, entre le président russe et toutes les nouvelles extrêmes droites européennes représentées au congrès du Front, il y a une profonde et complète connivence. C’est ensemble, toutes nationalités confondues, qu’ils communient dans un passéisme fait de nationalisme, de nostalgie des régimes forts et de leurs chefs charismatiques, de rejet des étrangers, de hantise de la décadence occidentale et de volonté de la parer par un retour à ces «valeurs traditionnelles» qu’invoquait le représentant de Russie Unie devant ses «camarades» du Front.
Aux confluences des fascismes et du stalinisme, d’ordres uniformes et d’autoritarisme rassurants, c’est une nouvelle réaction aux bouleversements des temps présents qui s’ébauche là et que cimentent deux grands points communs.
Le premier est la peur de l’islam, vu comme une menace existentielle pour l’Europe chrétienne, et cette absolue cécité qui fait en conséquence croire que les dictatures arabes seraient le meilleur rempart contre les jihadistes alors qu’elles en sont la source et le meilleur terreau. Ce n’est pas par hasard que Mme Le Pen et Vladimir Poutine s’étaient immédiatement rangés aux côtés de Bachar al-Assad alors que l’aspiration aux libertés et à la démocratie faisait descendre les Syriens dans les rues. C’est parce qu’ils ont une même phobie des musulmans et, donc, une même sympathie pour les potentats sanguinaires qui ne se survivaient et ne s’enrichissaient qu’en les opprimant et leur interdisant toute intégration à la modernité.
Le second point commun à ces nouvelles extrêmes droites des deux parties de l’Europe est la haine de l’Union européenne. Vladimir Poutine rêverait de la briser car elle exerce trop d’attraction à ses yeux sur les anciennes Républiques soviétiques qu’il voudrait replacer sur orbite russe pour reconstituer l’empire des tsars. Mme Le Pen y voit, elle, non seulement une prison des peuples et une négation de leurs souverainetés mais le cheval de Troie de la mondialisation qu’elle honnit et à laquelle elle considère - c’est ainsi - que l’Europe pourrait mieux résister par sa dispersion que par son unité.
Bien… C’est clair. Tout cela fait une convergence mais, outre qu’elle n’est pas particulièrement ragoûtante, a-t-elle la moindre cohérence ?
La réponse est quatre fois non. La Russie de Vladimir Poutine, d’abord, est l’exact contraire de la protection sociale et de l’Etat stratège dont Mme Le Pen se réclame depuis qu’elle a compris que ces créneaux étaient électoralement porteurs. Avec la Chine dont elle se rapproche, la Russie est par excellence la terre du capitalisme sauvage et du libéralisme économique le plus débridé. La Russie, en deuxième lieu, incarne tout sauf la laïcité dont Mme Le Pen a fait un étendard contre l’islam puisque Vladimir Poutine la gouverne dans une complète fusion idéologique avec l’Eglise orthodoxe et son ordre moral.
Contrairement à l’Union européenne qui n’a jamais obligé quiconque à la rejoindre, la Fédération de Russie est bel et bien, en troisième lieu, une prison des peuples dont personne ne peut librement sortir. Les Tchétchènes l’ont éprouvé dans leur chair et, si les nouvelles extrêmes droites européennes parvenaient vraiment à faire éclater l’Union, ce n’est enfin pas à l’unité des nationalismes qu’on assisterait mais à un choc des puissances au premier rang duquel se trouveraient la Russie et sa nostalgie impériale. Vladimir Poutine a trouvé ses idiots utiles.
Bernard Guetta