Les îles Féroé sont à l’Unesco, le Tibet peut toujours attendre

Il y a peu, le petit monde parisien de l’Unesco était en pleine effervescence, dans l’attente du nouvel élu qui tiendra dorénavant le devant de la scène à sa direction. De rumeurs en joutes serrées, de palabres en négociations laborieuses, la tête de l’organisation internationale est féminine, Irina Bokova la Bulgare l’ayant finalement emporté sur Farouk Hosni l’Egyptien. A peu près en même temps, les amateurs de foot, bien plus nombreux, se passionnaient pour un match décisif entre les équipes de France et des îles Féroé. A première vue, pas grand-chose de commun entre ces deux événements. Et pourtant, le brouhaha autour du premier et les clameurs entourant le second ont relégué loin à l’arrière-plan un troisième événement qui vaut tout de même son pesant d’information.

Heureusement, un organe de presse sérieux et qui ne perd aucune occasion de lancer son scoop n’a pas négligé d’annoncer à son vaste public cette nouvelle si importante: dès la mi-octobre, tous les intéressés étaient informés que les îles Féroé venaient d’être admises la veille comme 200e membre à l’Unesco, «qui compte désormais 193 Etats membres et sept associés». Merci le Service français de Radio Pékin, qui précise doctement: «Selon l’Acte constitutif de l’Unesco, les territoires ou groupes de territoires qui n’assument pas eux-mêmes la responsabilité de la conduite de leurs relations extérieures peuvent être admis comme membres associés par la Conférence générale.» Sage disposition qui a permis à l’archipel européen de 18 îles et 40 000 habitants de se joindre aux associés qui l’ont précédé, à savoir Aruba, les Antilles néerlandaises, les îles Caïman, les îles Vierges, Tokelau (dans le Pacifique, trois îlots et 1187 habitants), et Macao. La dépêche chinoise a ceci d’intéressant que non seulement elle donne l’information, capitale pour enrichir le patrimoine culturel mondial de l’humanité, mais en même temps, elle est stimulante, car elle peut donner des idées et suggérer des initiatives tout aussi heureuses et novatrices.

Que les pays adhérant à l’ONU soient de plein droit membres de l’Unesco, rien à redire, et que son institution spécialisée dans l’éducation et les sciences en compte une demi-douzaine de plus eu égard à la diversité culturelle de notre brave petite planète bleue, rien que de très normal: l’auguste institution n’a-t-elle pas pour mandat de «contribuer au maintien de la paix et de la sécurité dans le monde en resserrant, par l’éducation, la science, la culture et la communication, la collaboration entre nations, afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, que la Charte des Nations unies reconnaît à tous les peuples»? Il est donc tout naturel d’y retrouver Saint-Kitts- et-Nevis, Saint-Marin, Saint- Vincent-et-les-Grenadines, les îles Marshall et les Salomon, ou encore Kiribati, Nauru, Tuvalu et Tonga, pour accueillir leur nouvel associé, les Féroé, «connues pour l’intégrité des paysages, l’architecture traditionnelle et une identité culturelle marquée». «Identité culturelle marquée… territoires qui n’assument pas eux-mêmes la responsabilité de leurs relations extérieures»? D’accord, Macao y a bien sa place.

Au fait, pourquoi pas le Tibet? Nul doute qu’il s’agit là d’un malencontreux oubli, que le ministre chinois des Affaires étrangères (ce sont eux qui se chargent généralement de déposer la demande d’association à l’Unesco, au nom du pays qui exerce la tutelle) se fera un réel plaisir de réparer dans les meilleurs délais. Il est de notoriété publique – pour reprendre une formule chère aux porte-parole de Pékin – que le Pays des Monts neigeux qui, comme chacun sait ou feint de le croire, «appartient à la Chine depuis la nuit des temps», se targue d’une «identité culturelle marquée», avec son architecture traditionnelle et ses paysages naguère intègres d’une beauté puissante, pour ne citer que ces traits saillants. Son passé, son savoir ancestral, ses trésors artistiques, sa langue et son alphabet, ses us et coutumes, ce qui reste de son patrimoine qualifient amplement ce vaste territoire qu’on appelle «le toit du monde» autant que Macao pour entrer par la grande porte à l’Unesco. Une idée en ce sens avait été lancée il y a environ une année, visant à l’inscrire au Patrimoine mondial, en vue d’apporter une «réponse magistrale et pacifique au problème posé par le statut de ce pays». Intention on ne peut plus louable, mais qui l’a entendue en des temps où le tout économique l’emporte sur le tout politique, voire sur le respect des principes mêmes de l’ONU et de l’Unesco auxquels ont souscrit tous les membres de ces honorables institutions? Faute d’un geste de courage politique, l’Unesco qui revendique l’universalité culturelle s’honorerait de pareille audace…

* Tibet, la question qui dérange, Albin Michel, 2008.

Claude B. Levenson, auteure et spécialiste du Tibet*