Les indépendantistes catalans ont fait le choix unilatéral de la confrontation

Dans un éditorial publié dans son édition du 18 octobre et appelant à « sortir de l’impasse » en Catalogne, Le Monde estime que les scènes de violence urbaine à Barcelone ont pour « détonateur (…) l’arrêt de la Cour suprême qui (…) a infligé de lourdes peines » à neuf dirigeants indépendantistes. Peines dont la « pertinence », poursuit l’éditorial, mérite d’être interrogée et qui conduisent à « maintenir un climat d’exceptionnalité en Catalogne ». Le journal exhorte le royaume d’Espagne à « prendre garde à ce que cette sentence ne fasse pas jurisprudence en aboutissant à la restriction des droits de réunion, de manifestation ou de libre expression ». Rarement, en si peu de lignes, on a pu lire autant d’affirmations qui aboutissent à donner de la crise catalane une image totalement biaisée.

Ce que vit la Catalogne depuis quelques jours n’est que l’aboutissement logique d’une stratégie politique mise en œuvre par les indépendantistes depuis les institutions catalanes elles-mêmes à partir de 2015. Avec Carles Puigdemont, le choix unilatéral de la confrontation a été acté. Il a abouti à s’affranchir de toutes les garanties constitutionnelles pour organiser un pseudo-référendum d’autodétermination. La proclamation de l’indépendance, le 27 octobre 2017, avait une double fonction : consolider la confrontation avec la démocratie espagnole et faire croire à l’aboutissement d’un projet qui n’était qu’un mirage, comme l’a prouvé l’échec complet de cette tentative.

Depuis deux ans, le camp indépendantiste, traversé de divisions considérables et dont l’unité n’existe que dans l’opposition à l’Etat espagnol, s’enferme dans ses contradictions. Le président de la Généralité, Quim Torra, refusant d’assumer ses fonctions institutionnelles – être le président de tous les Catalans – agit comme un activiste qui détourne les administrations publiques au seul profit des indépendantistes. Il a observé avec sympathie l’action des Comités de défense de la République [collectifs locaux de militants indépendantistes] et celle des groupuscules de la Candidature d’unité populaire, un mouvement d’extrême gauche anarcho-indépendantiste.

Autonomie unique en Europe

Maintenant que leur action devient violente, il est pris en tenailles entre l’indispensable maintien de l’ordre, qui incombe aux forces de l’ordre catalanes, et sa complicité avec ces mouvements, qui ont servi sa duplicité depuis deux ans. Les émeutes urbaines ne sont pas nées à cause de la sentence du Tribunal suprême : elles ont été sciemment préparées. Elles attendaient l’occasion de la sentence pour envahir les rues. Loin d’exprimer le sentiment unanime de la population catalane, elles servent à empêcher le débat démocratique et à substituer l’intimidation à la négociation.

Il est quand même étonnant, après plus de quarante ans de fonctionnement de la démocratie espagnole, qu’on continue de penser que la défense des libertés est dans le camp des nationalistes catalans et que l’Etat espagnol serait menacé d’une dérive liberticide.

Qui a privé, dans le jeu parlementaire, l’opposition de ses droits ? La Catalogne nationaliste ! Qui a disqualifié le système des garanties de l’Etat de droit et la limitation de la toute puissance du pouvoir grâce aux recours devant le Tribunal constitutionnel ? La Catalogne nationaliste ! Où la liberté de parole est-elle, sinon limitée, au moins intimidée ? En Catalogne nationaliste !

De même, on appelle Madrid et Barcelone à négocier. Mais sur quoi et pourquoi ? Qui rappelle l’extrême autonomie, unique en Europe, dont jouit la Catalogne en matière de sécurité publique, d’éducation et de culture, de fiscalité ? Il n’est pas jusqu’à la gestion des prisons qui ne soit de la compétence du gouvernement régional. Ainsi, les condamnés par le Tribunal suprême, emprisonnés en Catalogne, pourront-ils jouir d’aménagements de peine mis en place par l’administration catalane gérée par leurs amis politiques. Et qui rappelle qu’en Catalogne, aujourd’hui, la langue réprimée est le castillan (des associations militantes entrent dans les écoles pour vérifier que les enfants jouent en catalan dans la cour de récréation) ?

Ouvrir les yeux

La demande indépendantiste doit être prise au sérieux. Elle n’est pas, ou n’est plus, un levier pour obtenir des avantages par rapport aux autres régions espagnoles. Elle est un projet de rupture radicale. Loin d’être très majoritaire, elle entend s’imposer à d’autres Catalans. Elle entend n’exprimer que la volonté catalane, oubliant les impacts qu’une indépendance aurait sur l’ensemble de l’Espagne mais aussi en Europe. Ses motivations sont clairement égoïstes : il s’agit de rendre « la Catalogne aux Catalans ».

Pourrait-on, en France, ouvrir les yeux sur la nature et l’idéologie de ce mouvement ? Il ne s’agit pas d’un problème de forme. Il n’y a pas d’un côté un Etat bloqué sur ses positions et de l’autre un peuple brimé et qui demande un peu de libertés. Il y a un Etat démocratique défié et une instrumentalisation de l’histoire catalane pour masquer des revendications aux connotations trop clairement ethnicistes, hélas.

Défendre aujourd’hui l’Etat de droit espagnol, c’est défendre une certaine idée de l’Europe et de la citoyenneté. C’est affirmer que celle-ci est politique et non ethnique. Ce sont les Constitutions qui fondent les droits politiques, ce ne sont pas les territoires. Ou alors, il faudra retourner à l’Ancien Régime en passant par la case bien connue des dérives nationalistes qui, au XXe siècle, ont été accompagnées par les tentations totalitaires.

Manuel Valls, ancien premier ministre de la France (du 31 mars 2014 au 6 décembre 2016), est conseiller municipal de Barcelone. Benoît Pellistrandi, historien, est l’auteur du Labyrinthe catalan (Desclée De Brouwer, 2019)

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *