Les insurgés du Capitole, un chaos national-populiste ?

 Des partisans de Donald Trump dans la rotonde du Capitole américain, à Washington, mercredi. Photo Saul Loeb. Afp
Des partisans de Donald Trump dans la rotonde du Capitole américain, à Washington, mercredi. Photo Saul Loeb. Afp

L’ampleur d’un événement se mesure parfois à l’impossibilité de le catégoriser, de le cerner et le circonscrire par les mots et les concepts de l’analyse académique. En ce qui concerne l’improbable prise du Capitole de mercredi, c’est peu dire que les points de vue historiques, juridiques et politiques divergent, parfois frontalement. Comment qualifier l’invasion de manifestants pro Trump en plein cœur des institutions américaines, dont la facilité de pénétration pose par ailleurs mille et une interrogations. A-t-on eu affaire à une sédition, une tentative de coup d’Etat, une révolte sociale, un soulèvement populiste, une offensive complotisto-suprémaciste ? Un peu tout cela à la fois ? Pour l’heure, rien n’est très arrêté, aucune grille de lecture ne s’impose vraiment. Ce qui est, en soi, un début d’information.

L’une des premières notions à s’imposer est celle de populisme, dont la présidence trumpienne aura été sans conteste l’une des formes les plus radicalement abouties. Un «national-populisme», évoquent certains. C’est que les revendications d’une large partie des manifestants du Capitole revêtent une coloration antisystème, raciale, et même ouvertement néonazie pour certains d’entre eux. Une vision soutenue dans Libération par l’historien Pap Ndiaye, qui avance l’idée d’une «dérive vers un national-populisme à tendance fascisante». Mais une approche que conteste partiellement le politiste Jean-Yves Pranchère dans un post sur Facebook : «Arrêtons de parler de "populisme" pour des mouvements qui ont tous les traits du fascisme (même sous des formes inattendues, "postmodernes") et qui n’ont aucun lien avec ce qui, historiquement, s’est appelé populisme». Pour le professeur à l’Université de libre de Bruxelles, cela revient à légitimer la contestation en la présentant comme «populaire». «Le populisme, c’était un mouvement qui demandait la progressivité de l’impôt, la nationalisation des transports, la consolidation de l’Etat de droit, rappelle le chercheur. Ce n’est pas le père Ubu soutenu par des types qui vivent dans l’univers parallèle de QAnon.»

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«Contestation de la mondialisation»

Quelles sont les causes de ce bouquet final trumpiste ? Si l’expression identitaire paraît incontournable dans les motivations des protestataires, doit-on aussi y déceler une dimension sociale ? Doit-on incriminer la crise économique et les inégalités grandissante dans la première puissance mondiale déclinante, ébranlée par le Covid, nourrissant un sentiment d’abandon, creuset du nationalisme le plus extrême ? «Le social a relayé le politique, a estimé ce vendredi matin le politiste et spécialiste des relations internationales Bertrand Badie sur les ondes de France Inter. Ce qu’il y a en point de mire de cette mobilisation, c’est la contestation de la mondialisation.» Les insurgés pro Trump arborant des drapeaux des Etats confédérés partageraient ainsi tous une idée commune de déclassement et d’exclusion vis-à-vis des classes plus aisées, plus diplômées, plus urbaines, plus mobiles et votant davantage démocrate. Sans nul doute, le débat reste ouvert.

Tout comme sur les parallèles avec les gilets jaunes. L’esthétique folle de la prise du Capitole filmée sur smartphone par les émeutiers eux-mêmes, venus pour certains des contrées lointaines de l’Amérique profonde et faisant irruption dans les salles marbrées du bâtiment de style néoclassique mondialement connu tels des touristes égarés, n’est pas sans rappeler l’intrusion de manifestants dans le ministère de Benjamin Grivaux le 5 janvier 2019, un mois après le spectaculaire et tout aussi inédit saccage de l’Arc de Triomphe, à Paris. Même si d’emblée, la revendication principale des supporteurs du président américain, soit la contestation de l’élection de son rival Joe Biden largement entretenue par les fake news, n’a pas grand-chose à voir avec les demandes initiales du mouvement français né, rappelons-le, du refus des hausses de taxes sur le carburant, avant de s’étendre au fameux référendum d’initiative citoyenne (RIC) et à la contestation générale du système politique.

Il est toutefois indéniable que le fond de l’air de l’état des démocraties américaines et françaises est globalement marqué par une même défiance montante envers les institutions et une volonté de les toucher du bout des doigts tant elles paraissent éloignées des réalités du quotidien. «Il y a un désir très fort de s’approprier les symboles institutionnels du pouvoir», a complété Bertrand Badie. A l’image du vol de pupitre ou de la réquisition momentanée du bureau de la présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis, Nancy Pelosi. Dans un tel contexte, comment ne pas se rappeler des divers appels à «faire tomber l’Elysée» émanant de groupes Facebook de gilets jaunes deux ans plus tôt ? De chaque côté de l’Atlantique, les mêmes signes d’essoufflement de la démocratie représentative.

Rejet du personnel politique

Ce rejet massif du personnel politique et des institutions n’est pas un problème proprement américain ni français. Et il trouve souvent sa source de légitimation dans les pratiques politiques elles-mêmes. Selon la juriste et américaniste Anne Deysine, la menace la plus grave sur les démocraties contemporaines n’est pas à chercher du côté d’un éventuel coup d’Etat ou d’une sédition. La chercheuse explique en effet dans Libération que les régimes s’effondrent avant tout «de façon presque imperceptible, minés par des dirigeants qui utilisent leurs positions pour infléchir les règles au profit d’intérêts partisans». Un fait bien compris par Donald Trump et instrumentalisé à outrance depuis des années. La France et d’autres n’en sont pas à l’abri.

Reste toutefois une donnée majeure et toute trumpienne, donc inimitable par d’autres : l’appel à marcher sur le Capitole américain a été lancé de l’intérieur, par le président républicain en personne, certes vaincu dans les urnes mais toujours en exercice. A priori, du jamais-vu dans une démocratie occidentale contemporaine. Ultime défi à tous les canons de l’analyse sociopolitique et que toutes les conceptualisations classiques n’ont pas anticipé. De quoi rendre la tâche d’une réponse démocratique un peu plus ardue encore.

Simon Blin, journaliste.

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