Les JO serviraient-il « à déposer un baume apaisant sur une nation meurtrie ? »

En inaugurant, le 5 juillet, le village olympique de Rio, le président en exercice du Brésil, Michel Temer, a appelé à la « pacification du pays », avant de souhaiter que ces Jeux « montrent au monde une nation à la démocratie consolidée ». Le coup d’éclat des JO servirait-il alors à déposer opportunément un baume apaisant sur une nation meurtrie ? La question mérite d’être posée, à l’heure où Dilma Rousseff et ses défenseurs peinent à trouver un second souffle, répétant inlassablement que la procédure de destitution qui a conduit à sa mise à l’écart provisoire de la fonction présidentielle n’est pas autre chose qu’un golpe, un coup d’Etat.

L’usage d’une telle expression peut sembler étrange, tant la procédure a respecté, étape par étape, le cadre constitutionnel, recevant l’aval du Tribunal fédéral suprême. Ce qui a conduit Le Monde à publier un éditorial catégorique, le 30 mars : « Ceci n’est pas un coup d’Etat ». Il est vrai que, depuis les coups d’Etat qui ont fleuri dans l’Europe et dans l’Amérique latine des XIXe et XXe siècles, un imaginaire du coup d’Etat s’est peu à peu imposé : celui d’une conquête du pouvoir par une action brusque et des moyens illégaux, souvent anticonstitutionnels, dont la caricature pourrait bien se trouver dans Tintin et les Picaros.

Or, ce qui vient de se passer au Brésil n’est en aucun cas comparable à de tels actes. Le Monde pouvait alors souligner avec justesse que « l’heure n’est plus aux dictatures militaires soutenues en sous-main par la CIA ». Faut-il pour autant considérer que le débat est clos ? Non, bien au contraire.

« Actions hardies et extraordinaires »

Mais, pour cela, il nous faut reprendre le chemin de l’histoire, pour débusquer l’origine de l’expression « coup d’Etat ». Attestée dès 1598 pour qualifier une « action politique utile au bien de l’Etat », son apparition accompagne ainsi la mise en place des monarchies modernes. En 1639, le bibliothécaire Gabriel Naudé (1600-1653) rédige des Considérations politiques sur les Coups d’Etat. Il range sous ce terme « les actions hardies et extraordinaires que les Princes sont contraints d’exécuter aux affaires difficiles et comme désespérées, contre le droit commun ».

Ces actions trouvent leur source dans la « prudence extraordinaire » qui préside au maintien de l’intégrité de l’Etat et dans la capacité « des politiques » à préparer leur projet dans le plus grand secret : « Dans les coups d’Etat (…), les matines s’y disent auparavant qu’on les sonne, l’exécution précède la sentence, etc. »

En évoquant « avec quelles précautions et en quelles occasions pratiquer les coups d’Etat », Naudé n’oublie pas de souligner l’usage de « certaines ruses, détours et stratagèmes, desquels beaucoup se sont servis, et se servent encore tous les jours pour venir à bout de leurs prétentions ». Le coup d’Etat serait ainsi porté par un acteur capable d’avancer masqué dans le théâtre du monde.

C’est en 1684 que l’académicien Antoine de Furetière (1619-1688) intégrera l’expression dans son dictionnaire, pour décrire cette fois une « action héroïque, hardie ou extraordinaire, soit en bien, soit en mal », en donnant comme exemple : « la prise de La Rochelle ». Ce même Richelieu, qui a organisé le siège et la prise de La Rochelle en 1628, sera d’ailleurs l’acteur principal de la journée des Dupes (10 novembre 1630), où, au terme d’un véritable vaudeville, il obtient de Louis XIII l’éloignement de la reine mère, Marie de Médicis, pour mener seul les affaires du royaume. Au XVIIe siècle, ainsi, le coup d’Etat est une dramaturgie, qui pousse à son comble la théâtralisation du pouvoir.

Tragédie du grand siècle

C’est bien dans cette acception qu’il faut concevoir ce qui se passe aujourd’hui au Brésil, où nous retrouvons tous les ingrédients d’une tragédie du Grand Siècle.

La dramatisation, d’abord, portée par les mots et les images que la presse grand public (Globo et Veja notamment) a diffusés depuis la réélection de Dilma Rousseff (octobre 2014) pour dresser le portrait d’un pays à la solde d’un parti populiste et corrompu, au modèle de développement archaïque, voulant mettre l’économie à genoux, en octroyant généreusement bourses et droits sociaux aux plus pauvres.

L’argument de la prudence extraordinaire, ensuite, pour justifier, au nom de l’intérêt supérieur du pays, l’éviction du parti qui aurait dilapidé la richesse nationale. La ruse, aussi, car les arguments mis en avant pour la procédure de destitution ne trahissent en rien les raisons profondes de cette procédure d’éviction : le « crime de responsabilité », qui doit être qualifié pour déclencher la procédure, ne peut être constitué que pour le mandat en cours. Or c’est à peine un mois et demi après sa réélection que la première demande de révocation a été formulée.

Le secret, enfin : la divulgation récente d’enregistrements de conversations téléphoniques des principaux ténors du PMDB [Parti du mouvement démocratique brésilien], l’ancien allié du Parti des travailleurs, qui est aujourd’hui à la tête des principales institutions du pays, semble indiquer un souhait de mettre un terme aux enquêtes sur la corruption, pour éviter l’implosion du système. L’un de ses dirigeants, Sérgio Machado, s’est épanché dans une conversation avec l’ex-président de la République, José Sarney : « La classe politique est foutue. C’est le sauve-qui-peut. »

Puis, évoquant le juge anticorruption Sérgio Moro : « Le mec suit sa stratégie de “délégitimer” les choses. Maintenant il n’y a plus personne de légitime pour parler de quoi que ce soit. (…) Et le Tribunal fédéral suprême a déchiré la Constitution. » Quant au ministre « de la transparence » du gouvernement Temer, il a été poussé à la démission pour avoir aidé le président du Sénat à échapper à une enquête.

Ce qui se joue au Brésil est donc la résurgence d’une forme classique de coup d’Etat. Et l’on pourrait dire, avec Corneille, que dans ce système politique à bout de souffle « jamais coup d’Etat ne fut mieux entrepris » (La Mort de Pompée).

Par Laurent Vidal, historien du Brésil à l’université de La Rochelle.

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