Les leçons du printemps arabe

On disait du monde arabe qu'il était à bout de souffle, usé par le despotisme et la corruption. On déclarait l'"être arabe" sorti de l'histoire trop longtemps pour y entrer à nouveau. On prétendait le peuple arabe enraciné dans une exception culturelle presque ontologique, incompatible avec les idéaux de liberté et de démocratie. Ces certitudes ont tétanisé nos intellectuels devant la révolution arabe. Le raz-de-marée provoqué par les soulèvements de la jeunesse arabe a entraîné le naufrage de tous ces stéréotypes.

Cette jeunesse, éduquée et souvent diplômée, confrontée au chômage, au népotisme et à l'impuissance des vieux dictateurs à lui offrir un avenir, n'a jamais cru en la capacité de quelques hirondelles électorales à faire un printemps démocratique.

Fatiguée par des promesses non tenues et des plans de développement venus d'ailleurs, sous prétexte de co-développement, la jeunesse arabe a compris qu'il ne saurait y avoir de justice sociale et de partage équitable des richesses sans une démocratie réelle. Des hommes et des femmes de toutes couches sociales et de tous horizons se sont mis en mouvement, pour demander non du pain mais pour réclamer des droits, des libertés et se réinventer un avenir. Et en ce sens, les peuples arabes se situent dans la même histoire que les peuples d'Amérique latine et d'Europe centrale ont initiée dans les années 1980.

Spontanément, sans leader ni encadrement politique, sans drapeau vert ni rouge, la jeunesse arabe s'est organisée via les réseaux sociaux Facebook et Twitter. Des réseaux devenus les seuls espaces d'expression, ceux que les vieux partis politiques, coupés des réalités et trop occupés à négocier le partage du pouvoir, n'ont pas su proposer. Cette jeunesse isolée, qui se croyait minoritaire, a fait de ces réseaux une nouvelle agora, structurée par une idée forte : la liberté, celle d'échanger et de débattre. Grisée par cette liberté, la jeunesse arabe a dégagé Ben Ali, Moubarak, demain Kadhafi et tous ceux qui refusent de se plier à cette réalité de l'exigence démocratique.

Ces événements sont un cinglant désaveu à tous les partisans du choc des civilisations. Ils sont un désaveu à la fameuse "exception arabe", nourrie par les thuriféraires de la démocratie et autres orientalistes patentés. Un paradigme culturaliste qui a fait des démocrates et des laïcs, sur le terrain depuis toujours, une minorité. Enfermés dans cette certitude, nos intellectuels n'ont pas compris ce qu'il se passait. Ils ont renoncé et ont fait de l'islamisme la seule alternative possible, en espérant au mieux, une "démocratie hallal" ! Quelle illusion ! Quel renoncement !

La marginalisation des forces de progrès a permis à l'idéologie islamiste d'imprégner en profondeur les sociétés arabes. Et c'est parce que nous leur avons offert une tribune en Europe et chez nous en France, que l'extrémisme a essaimé dans nos banlieues et nos quartiers avec pour seul projet le voile et la burqa pour nos filles.

Que n'a-t-on pas entendu au nom du relativisme culturel, lorsque les filles et les garçons de nos banlieues se sont levés pour dénoncer l'intégrisme ! Qualifiée de curiosité anthropologique, cette jeunesse a failli être clouée au pilori de cette "exception arabe", alors même que leur combat était applaudi par les femmes et les hommes libres du monde arabe.

COMBATTRE L'INTÉGRISME

A quel spectacle n'a-t-on pas assisté au moment du vote de la loi sur les signes religieux en 2004 et surtout, lors du vote sur la loi interdisant le voile intégral ! Il a fallu la force du verbe de Robert Badinter devant ses pairs au Sénat et celle des convictions de Fadela Amara pour que l'on reconnaisse l'universalité des valeurs de liberté et de laïcité, même au-delà du périphérique !

Non, le totalitarisme, l'obscurantisme et la misère ne sont pas inscrits dans l'ADN des peuples arabes ! Nous savions, nous démocrates, fils et filles d'immigrés, résolument laïques et républicains, qu'il existait une majorité silencieuse. Nous savions que les citoyens arabes, maghrébins et musulmans, dans leur immense majorité, rejetaient l'alternative islamiste au nom de la liberté.

Nous savions, contrairement aux analystes et autres experts bien avisés, qu'il existait deux projets politiques diamétralement opposés : l'islamisme, qui a pris en otage la foi des peuples de la région et l'aspiration légitime d'une jeunesse assoiffée de liberté, d'émancipation et de laïcité. Des valeurs que la Tunisie et l'Egypte et tous les autres pays arabes ont en partage et l'histoire nous le montre.

Cette révolution, ne nous leurrons pas, aura des répercussions partout dans le monde arabe et pour ceux qui feignent de l'ignorer, en Europe et chez nous, en France. Ce printemps arabe nous interroge aujourd'hui, sur le regard porté à une partie de notre jeunesse, celle dont les oncles et les tantes, les cousins et les cousines sont descendus dans la rue réclamer dignité, égalité et liberté, de l'autre côté de la Méditerranée.

Ne cherchons pas à enfermer définitivement notre jeunesse dans un islam de bric et de broc, ni l'ensemble de nos concitoyens dans une peur sans fondement. L'intégrisme, comme toute forme d'extrémisme, n'a pas besoin d'être débattu. Il doit être combattu, ici et ailleurs.

Par Nadia Hamour, historienne, conseillère de Maurice Leroy, ministre de la ville, et Mohammed Abdi, ancien conseiller spécial au secrétariat d'Etat en charge de la politique de la ville.

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