Le vieux différend au sujet de la souveraineté des îles Malouines (Falkland en anglais) est devenu d’actualité dans la presse mondiale en 2012, à l’occasion du 30e anniversaire du conflit armé entre l’Argentine et le Royaume-Uni. Depuis, les positions des deux parties se sont durcies, cette fois-ci à l’occasion du 180e anniversaire de l’expulsion des Argentins des îles, mais aussi en raison des perspectives d’exploitation du pétrole dans leur espace maritime. L’Argentine a fait des Malouines une question centrale de sa politique étrangère. Elle compte sur le soutien inconditionnel de toute l’Amérique latine, mais aussi des Etats d’autres régions de la planète, comme récemment celui de l’Afrique lors du sommet Afrique/Amérique du Sud à Malabo. Face au début de l’exploration d’hydrocarbures et à une forte présence militaire britannique dans les îles, l’Argentine a pris des mesures concrètes relatives, notamment, à l’entrée de navires britanniques dans ses ports. Elle a été suivie en cela par ses voisins directs, le Brésil, le Chili et l’Uruguay. Buenos Aires a fait savoir que toute entreprise exploitant les ressources naturelles autour des îles sera poursuivie et passible de sanctions. Les Nations unies, pour leur part, considèrent les îles Malouines comme un territoire non autonome qui doit être décolonisé. Depuis 1965, année de la première résolution de l’Assemblée générale sur la question, l’ONU a établi que la manière de mettre fin à la situation coloniale est le règlement pacifique du différend au sujet de la souveraineté. Dans ce règlement, les intérêts des habitants actuels des îles devront être pris en compte, mais le principe d’autodétermination ne leur est pas applicable.
Les parties avaient négocié entre 1966 et 1982, sans résultats concrets quant au fond. Depuis la fin des hostilités en 1982, le Royaume-Uni refuse toute négociation sur la question de la souveraineté. Pourtant, la guerre n’a pas mis fin au conflit sur la souveraineté. Comme le gouvernement britannique l’avait reconnu au Conseil de sécurité, ce qui devait être condamné était le recours à la force par l’Argentine comme moyen de règlement des différends, indépendamment du bien-fondé ou non des arguments des parties relatifs aux titres de souveraineté sur le territoire. Ainsi l’ont compris les Nations unies. L’Assemblée générale, quelques semaines après la fin des hostilités, a demandé aux deux parties la reprise des négociations au sujet de la souveraineté sur les Malouines.
Il y a davantage d’Etats qui reconnaissent la souveraineté argentine que celle invoquée par le Royaume-Uni. D’autres Etats adoptent une position de neutralité. Aucun des autres membres permanents du Conseil de sécurité ne considère les îles comme relevant de la souveraineté britannique. Il y a quelques jours, dans sa première visite à Londres en tant que secrétaire d’Etat, John Kerry a réitéré la traditionnelle position des Etats-Unis: reconnaissance de l’administration de facto britannique, et stricte neutralité quant à la question de souveraineté sur l’archipel. La France, premier pays a avoir occupé les îles Malouines durant la période coloniale, les transférant ensuite à l’Espagne, adopte aussi la même position. La Russie et la Chine expriment une position de sympathie envers l’Argentine, et exhortent les deux parties à régler leur différend à travers des négociations.
Dans ce contexte, le gouvernement de David Cameron a unilatéralement organisé un référendum aux Malouines les 10 et 11 mars 2013. Les 1672 électeurs habilités se sont exprimés – résultats non encore connus – sur le point de savoir s’ils souhaitent garder le statut de «territoire britannique d’outre-mer». Les pays de la région, à travers les institutions du Mercosur et de l’Unasur, ont rejeté une telle procédure. Le Royaume-Uni invoque l’applicabilité du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes à la population des Malouines, allégation qui n’est pas reconnue par les Nations unies. Contrairement à la situation d’autres territoires non-autonomes, comme le Timor oriental et le Sahara occidental, les Nations unies sont complètement étrangères à l’organisation de ce référendum. Elles ne l’ont pas décidé; elles ne l’ont pas supervisé non plus. La question des Malouines est un cas particulier de colonialisme territorial. Le gouvernement britannique a expulsé par la force l’Argentine des Malouines, quelques années après l’indépendance du pays sud-américain, à une époque où les deux Etats entretenaient des relations pacifiques et d’amitié. Depuis lors et jusqu’à l’adoption de la première résolution de l’Assemblée générale, en 1965, le Royaume-Uni a catégoriquement refusé de régler le différend, malgré les protestations argentines. En même temps, le gouvernement britannique a installé sa propre population et a contrôlé la politique migratoire du territoire. La démographie sur les îles n’est pas naturelle. Depuis plus d’un siècle, leur population tourne autour de 2000 habitants. Il atteint 2841 habitants actuellement, dont 14% sont installés dans la deuxième «localité» de l’archipel, la base militaire de Mount Pleasant. A cela s’ajoutent environ 1500 membres des forces armées, ce qui donne une proportion d’un soldat pour trois habitants, certainement le taux le plus élevé de soldats par habitants au monde. Les habitants nés aux Malouines sont minoritaires. 40% des habitants actuels sont arrivés il y a moins de 10 ans. Ce chiffre se répète à chaque recensement, preuve que les Malouines sont, pour une grande partie, un lieu de passage. Pour pouvoir être inscrit au corps électoral, il faut être citoyen britannique et résider sur les îles depuis au moins 7 ans. La loi non écrite empêche les Argentins d’obtenir la résidence ou d’acquérir des biens fonciers. Pendant 17 ans, entre1982 et 1999, les détenteurs de passeports argentins ne pouvaient pas visiter les îles, même en qualité de touristes. La poignée d’habitants argentins actuellement présente sur les îles l’est en raison de mariages avec des résidents. La main-d’œuvre pour les travaux que les Britanniques ne souhaitent pas effectuer est assurée par la présence d’immigrés chiliens et de ceux provenant de Sainte-Hélène, un territoire britannique de l’Atlantique.
Au lendemain du référendum, la situation reste donc inchangée. Les Nations unies continueront de considérer les Malouines comme un territoire non autonome qui doit être décolonisé. L’Argentine continuera à revendiquer sa restitution. La prétention britannique de régler unilatéralement un conflit bilatéral, qui concerne plus de 3 millions de kilomètres carrés de territoire et d’espace maritime (12 fois la superficie du Royaume-Uni), ne changera pas non plus l’avis de la communauté internationale à cet égard. Il est temps que les parties s’asseoient autour de la table des négociations, et trouvent une solution imaginative qui prenne en compte tous les intérêts concernés.
Marcelo Kohen, professeur à l’IHEID à Genève.