Les marocains attendent que le roi soit l'artisan d'un véritable renouveau

En 1999, l'avènement de Mohammed VI augurait l'entrée dans une ère qui semblait résolument nouvelle puisqu'elle fut ponctuée de réformes de fond incontestables (à l'instar du nouveau code la famille ou des travaux de l'Instance équité et réconciliation) maintes fois saluées par la communauté internationale. D'aucuns de penser au début du nouveau XXIe siècle que le régime marocain évoluerait irrémédiablement vers une monarchie profondément rénovée. Quelques années plus tard, le constat est amer et sans appel, le palais n'a pas cédé une once de pouvoir.

L'institution monarchique est ainsi toujours prééminente, elle se situe aux antipodes d'une monarchie constitutionnelle classique. Le gouvernement dépourvu de toute autonomie apparaît comme une instance consultative à compétence technique destinée à la préparation des décisions royales. Quant au parlement, il fonctionne comme une chambre d'enregistrement et s'avère ainsi un simple instrument de la volonté du roi. Les décisions royales ne peuvent faire l'objet de poursuites en justice et s'imposent à toutes les normes juridiques produites par l'Etat ; toute déclaration du souverain quel que soit son support à force de loi.

Si les scrutins sont désormais transparents, ils n'expriment néanmoins aucunement un choix d'avenir, c'est le roi qui trace le sillon, les programmes des partis politiques ne s'écartent pas de la matrice arrêtée par ce dernier dans chaque discours du trône. La prise de décision économique est également phagocytée par le Makhzen, WikiLeaks révélait dernièrement que celle-ci est concentrée entre les mains de quelques personnes proches du souverain. Depuis l'alternance politique de 1998, les traditionnels opposants (les socialistes) longtemps réfractaires à toute participation gouvernementale laquelle eût impliquée la pleine approbation des prérogatives du monarque se sont laissés allégrement apprivoisés et sont devenus de fidèles et ardents serviteurs de la monarchie chérifienne qu'ils avaient tant combattue.

Nadia Yassine du mouvement islamiste Justice et Bienfaisance (interdit mais toléré) est l'une des rares voix depuis plusieurs années qui s'est élevée pour plaider sans ambages pour une assemblée constituante et une limitation du pouvoir absolu du roi, opinion qui est depuis peu, ce qui est inédit, relayée et amplifiée par la rue. Le 20 septembre des milliers de manifestants ont revendiqué en autres, de nouvelles règles du jeu politique. Il s'agit d'un événement majeur dans le royaume lequel n'a cependant pas échappé ses dernières années à l'émergence de mouvements protestataires mais fragmentaires (tel, celui atypique des diplômés chômeurs sans omettre les luttes pour dénoncer le surenchérissement des denrées alimentaires, de l'électricité et de l'eau ou celles des habitants de régions marginalisée et précarisées) néanmoins sans jamais prôner aussi ostensiblement une nouvelle répartition des pouvoirs.

"LÉGITIMES REQUÊTES"

En septembre 2001, dans une interview qu'il avait accordé à un organe de presse français, Mohammed VI déclarait : "Les marocains veulent une monarchie forte, démocratique et exécutive…, chez nous le roi ne se contente pas de régner. Je règne et je travaille avec mon gouvernement." C'est ce modèle qui est aujourd'hui stigmatisé et ainsi rejeté. Par ailleurs, le Maroc n'est aucunement préservé des maux qui affectent les autres pays du monde arabe : jeunesse privée d'avenir et de dignité, corruption endémique laquelle mine le quotidien des plus démunis, népotisme, territoires ruraux en déshérence, système éducatif sinistré, mépris des élites, silence complice et complaisance des chancelleries européennes, autant d'ingrédients qui constituent des sources de frustrations croissantes.

Les marocains attendent désormais que le roi qui jouit d'un aura et d'un capital sympathie considérable que doivent d'ailleurs lui envier nombre de dirigeants arabes soit l'artisan d'un véritable renouveau. Ceci suppose un gouvernement issu des urnes qui détermine la politique de la nation sous le contrôle du parlement conjugué à une indispensable redistribution des richesses. Le repli du roi sur un rôle symbolique (domaines religieux, sécuritaires ainsi que questions d'intérêt national) aurait le mérite de moins exposer ce dernier aux aléas de la gestion directe des affaires.

Il est patent que le monarque ne saurait rester sourd aux légitimes requêtes de son peuple sous peine à plus ou moins long terme de voir s'embraser le royaume, le temps des demi mesures est révolu. Il y va de la pérennité de la monarchie et de l'unité du pays dont Mohammed VI a été jusqu'à présent le précieux garant.

Laurent Beurdeley, maître de conférences en droit public à l'Université de Reims.

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