Les mines anti-véhicules, un fléau pour les civils et le développement

Cette semaine la conférence des Etats parties à la Convention sur certaines armes classiques (CCAC) s’est ouverte à Genève. Cette convention est entrée en vigueur en 1983 et regroupe cinq protocoles limitant l’usage de certaines armes conventionnelles. Depuis lundi et durant cinq jours, diplomates et experts militaires de plus d’une centaine d’Etats sont réunis à Genève pour partager les progrès et défis dans la mise en œuvre de ce traité. Le problème des robots tueurs occupe actuellement le devant de la scène et sera l’objet de discussions intenses. Plus en périphérie, les Etats discuteront aussi de l’impact humanitaire des mines anti-véhicules.

Contrairement aux mines antipersonnel, les mines anti-véhicules ne font pas l’objet d’une interdiction spécifique; seules des restrictions mineures sont prévues par la convention sur certaines armes classiques. On peut s’en étonner: tout comme les mines antipersonnel, ces armes blessent et tuent de façon indiscriminée civils et personnel humanitaire dans de nombreux pays touchés par les conflits – ceci parfois des années après la fin des hostilités. En 2014 sont parus dans la presse internationale plusieurs récits d’accidents tragiques, par exemple en Egypte (huit victimes, dont six morts), au Mali (sept accidents entre juillet et août et plus d’une dizaine de victimes), ou au Soudan du Sud (plusieurs accidents, une vingtaine de victimes). Entre 2010 et 2014, les médias ont rapporté quelque 725 victimes.

Récemment, le Centre international de déminage humanitaire de Genève (GICHD) et le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) ont entrepris de documenter l’impact humanitaire et sur le développement des mines anti-véhicules: les blessés, les morts et la destruction en sont les conséquences directes; toutefois ces mines sont également la source de catastrophes plus vicieuses, car elles représentent un frein à toute l’économie et au développement d’un pays alors qu’il sort d’un conflit.

La présence de mines anti-véhicules dans un pays affecte le commerce local et la distribution d’aide humanitaire; elle empêche les personnes déplacées lors de conflits de revenir chez elles; elle rend impossible la culture de terres contaminées et l’accès aux ressources naturelles; enfin, elle représente un obstacle au développement des infrastructures de base comme les routes ou l’électricité. Au Cambodge, la mécanisation de l’agriculture fait qu’il y a désormais davantage d’accidents dus à ces armes qu’aux mines antipersonnel. Parce que les mines anti-véhicules n’explosent pas quand on marche dessus, mais suite à une pression plus importante, ce sont les tracteurs qui provoquent ainsi souvent en plein champ la déflagration de mines posées il y a plusieurs dizaines d’années. Le paradoxe est tragique: alors que le développement et la mécanisation de l’agriculture sont les signes d’une économie qui reprend, ils deviennent aussi source de dangers de mort pour les populations locales.

Afin de diminuer l’impact des mines anti-véhicules, le GICHD et le SIPRI recommandent dans leur étude d’appliquer un recensement plus détaillé des sites contaminés. Très souvent en effet, la localisation des mines anti-véhicules sur un terrain (moins nombreuses et disposées de façon plus aléatoire que les mines antipersonnel) échappe aux efforts de déminage et n’est donc pas documentée de manière précise dans les bases de données. L’étude recommande par ailleurs d’augmenter leur détectabilité, car en raison de leur faible teneur en métal elles sont rarement repérées par les équipements de déminage. Enfin, elle préconise de renforcer la sensibilisation des populations des zones touchées – en particulier dans les régions contaminées qui redeviennent exploitées à des fins agricoles.

L’étude du GICHD et du SIPRI le démontre, l’impact des mines ­anti-véhicules sur le développement va en s’accroissant à mesure que les pays se développent. Les dégâts sont importants et demandent une réaction de la communauté internationale. Les accidents réguliers et le nombre substantiel de victimes ne peuvent pas être ignorés. Aujour­d’hui, face au danger grandissant des mines anti-véhicules, il est important que les gouvernements reprennent les discussions sur les régulations autour de ces armes. Les travaux de recherche effectués peuvent servir de base à des échanges allant dans le sens d’un engagement renouvelé des Etats.

Stefano Toscano, directeur du Centre international de déminage humanitaire.

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