Les Occidentaux doivent s’attendre à de nouvelles guerres en Afrique

Dans un de ces singuliers colloques dont le ministère de la défense espère saisir les « guerres du futur », je proposais, il y a quelques années, les « conflits religieux » de type Armée de résistance du Seigneur comme l’une des possibilités de guerres africaines à venir. Or, l’attention était tournée, après les guérillas marxistes-léninistes de la guerre froide, vers les conflits continentaux de type des guerres congolaises ou la « guerre nomade » ouest-africaine. On sait ce qu’il en est devant l’essor des conflits des djihadistes combattants, dont Boko Haram n’est au fond que l’avatar nigérian.

Pour autant, l’interprétation militaire a bien quitté le déni pour privilégier une vision complotiste panafricaine aussi radicalement fausse que la négligence première. Le récent colloque de Dakar a servi de caution à l’intervention militaire française qui vient. Car plutôt que de voir on ne sait quel invisible « maître de la déstabilisation » d’un « terrorisme » à réduire encore et toujours par la politique de la canonnière, ne doit-on pas s’interroger sur les échecs récurrents et les causes d’une « guerre à l’Afrique » continue, dont les interventions enchaînées paraissent désormais une escalade sans fin ?

La lourde responsabilité historique du président du Nigéria

Après la Libye, la « mère de toutes les interventions », la Côte d’Ivoire, le Mali, la Centrafrique, puis une escalade militaire soudain porteuse de tous les dangers ? La déstabilisation de la Libye a bien refoulé les Touareg armés et les groupes djihadistes vers le Sahel, transformé le pays en champ de bataille et affaibli notre flanc méditerranéen, en favorisant, en outre, un appel de migrants africains aux conditions de vie et de transfert dignes de l’esclavage ancien.

L’intervention au Mali, en ayant laissé dépérir l’armée nationale sous prétexte du pouvoir du capitaine Sanogo, a dispersé les groupes djihadistes dans une demi-douzaine de pays. D’où la nécessité de l’opération « Barkhane », lancée en catimini en août 2014 sur cinq pays sahéliens pour au minimum une dizaine d’années, ce qui a été soigneusement occulté aux Français et à la représentation nationale.

« Barkhane » est confiée au digne président du Tchad, M. Idriss Déby, dont le régime représente l’une des causes profondes des insurrections africaines, tant son autoritarisme contraste avec le modèle démocratique au Mali et au Niger, où, respectivement, Ibrahim Boubacar Keïta et Mahamadou Issoufou sont une alternative démocratique d’autant plus méritoire qu’il s’agit d’Etats fragiles et quasiment sous tutelle.

Contrairement à l’image donnée, le Nigeria n’est pas qu’un innocent pays livré aux hordes barbares. On ne dira jamais assez la lourde responsabilité historique de son président actuel, Goodluck Jonathan, dans le dépérissement démocratique de l’Etat nigérian, la situation catastrophique de son armée, le délitement des Etats du Nord dont les populations se sentent des citoyens de seconde zone.

Un « émirat djihadiste »

Cette situation propre à toutes les contestations, le président nigérian l’a, en effet, accentuée en cherchant par tous les moyens à se perpétuer au pouvoir au lieu de laisser un nordiste musulman, comme le veut la tradition non écrite de répartition géopolitique du pouvoir, le remplacer à Abuja.

Profitant, en despote corrompu, de la rente pétrolière du Sud, sa gestion laxiste des problèmes du Nord a fait le tour de force de tolérer à la fois une charia imposée par les élites locales, d’envoyer les soudards de son armée réprimer une secte comme Boko Haram à ses débuts, de commettre tant d’exactions que lors de la substitution de l’activiste ultraviolent Abubakar Shekau au leader religieux Mohamed Youssouf – liquidé par l’armée en 2009 – et le mouvement islamiste de ses débuts s’est transformé en puissante guérilla, envisageant un « émirat djihadiste » désormais rattaché au califat de Daech.

Comme ailleurs, dans la zone sahélienne notamment, nos « alliés » proche-orientaux d’Arabie saoudite et du Qatar ont financé cette expansion, mais que l’on ne s’y trompe pas, la dynamique de développement du conflit est due à des causes internes : corruption, inégalités, mal développement, violences étatiques sont le plus sûr terreau au développement de ces guerres africaines de troisième génération.

D’autant qu’ils ont d’indéniables sympathies par-delà les frontières. C’est un mécanisme bien connu de l’expansion rapide de ces conflits qu’un foyer conflictuel comprenne une base arrière – ici au Nigeria dans le proto-Etat que contrôle Boko Haram – et un espace de conquête et de destruction : au Cameroun, puis au Niger et, enfin, au Tchad. Ce sont des zones de frontières indécises, et sous-peuplées, aux peuples à cheval sur de fragiles tracés frontaliers, souvent tentés de se solidariser avec la guérilla djihadiste à proportion d’une répression aveugle qu’exercent les militaires ou les milices étatiques.

Le nord du Nigeria en zone de combat

L’introuvable « communauté internationale » a, pour l’instant, délégué à la machine de guerre tchadienne le soin de la répression et de la contre-attaque. Le Niger et le Cameroun deviennent des adjuvants de l’armée tchadienne, transformant le nord du Nigeria en une large bande périphérique en zone de combat.

Mais le lac Tchad, zone fragile et sous-peuplée, a été l’objet de raids de Boko Haram, à moins de 100 km de N’Djamena, la capitale tchadienne. Or, c’est là que la France a placé l’état-major de la force « Barkhane » (3 000 hommes), tournée pour l’instant contre le djihadisme sahélien. Qui pourrait croire qu’elle reste longtemps hors du conflit, quand les pays francophones de la région sont militairement dépassés ? Le récent appel au secours du chef de l’Etat nigérian, Goodluck Jonathan, à son homologue américain, Barack Obama, dessine, en fait, l’envoi d’une force multilatérale dont le Royaume-Uni, ancienne puissance coloniale, ne serait pas exclue.

Nous interviendrons bientôt dans une vingtaine de pays africains en conflit. Les stratèges occidentaux redoutent par-dessus tout la coalescence de foyers encore épars : Sahel, zone sous contrôle de Boko Haram et Centrafrique. Et pourtant, le retour des armées occidentales et de leurs supplétifs africains sur ces terrains n’est pas le pire.

Car la transformation des populations, dans autant de pays autrefois en paix, en « sociétés guerrières », selon l’expression du politologue Bertrand Badie, est sans doute plus inquiétante sur le long terme. D’autant que les enjeux continentaux s’exacerbent, que la violence armée appelle toujours plus de contre-violence et que l’espoir d’une vraie régulation de fond des conflits par un traitement social des inégalités semble définitivement s’éloigner.

Michel Galy, Politologue, professeur de géopolitique à l’Institut des relations internationales (Ileri), Paris)

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