Les partis politiques traditionnels doivent « faire une offre européenne aux citoyens »

Les Britanniques – on pourrait même dire les Anglais – n’ont pas le monopole de l’euroscepticisme. Depuis dix ans au moins, l’opposition à l’Europe est devenue un phénomène politique visible dans tous les pays de l’Union européenne. L’euroscepticisme peut être de droite comme de gauche. S’il a renforcé ou donné naissance à des partis politiques qui se situent aux extrêmes gauche et droite de la vie politique, il est loin d’avoir épargné les partis traditionnels.

En France, l’euroscepticisme progresse à droite comme à gauche depuis le référendum négatif sur la Constitution européenne de mai 2005. Ceux qui, en France, critiquent l’Europe de façon virulente le font soit pour contester son libéralisme économique – c’est l’euroscepticisme de gauche –, soit pour s’opposer à l’ouverture des frontières qui créerait de l’insécurité – c’est l’euroscepticisme de droite.

Un moment de vérité

Si critiquer l’Europe est devenu une posture banale en France, une question se pose : que font, depuis 2005, ceux qui ont à cœur de défendre le projet politique européen au sein des gouvernements, mais aussi des partis traditionnels ? La réponse est, hélas : pas grand-chose ! Les gouvernements de gauche comme de droite ont, bien sûr, géré les crises européennes, mais ils ont renoncé à réfléchir en parallèle à un projet d’avenir et à le rendre crédible auprès des citoyens.

Le « Brexit » est un moment de vérité pour tous ceux qui restent convaincus que l’avenir de la France est lié à celui de l’Union européenne. Il permet un nouvel engagement explicite et fort. L’attitude consistant à enfouir sous le tapis le sujet européen, au motif qu’il clive les familles politiques de l’intérieur, n’est plus tenable.

Pour le gouvernement français, il convient de réaffirmer vite un projet politique de noyau dur avec l’Allemagne, en y associant étroitement les partenaires du Benelux, de l’Europe méridionale comme l’Espagne et l’Italie, mais aussi la Finlande. La solution franco-allemande semble classique, mais il n’y a pas d’autre choix.

Paris et Berlin ne doivent pas être seulement deux grands pays capables de trouver des compromis sur les crises européennes ; ils doivent aussi proposer un nouveau projet de moteur européen. Leur agenda doit se structurer autour de la réforme de la zone euro, et notamment d’une véritable communautarisation de leurs politiques économiques. Une zone euro plus intégrée doit se doter d’une dimension politique et régalienne, par exemple en matière de lutte antiterroriste et de défense.

Un thème fort pour 2017

Cela nécessite de penser à des institutions spécifiques au noyau dur dont les règles se différencieraient de la grande Europe du marché. Le nouveau projet européen ne peut pas attendre qu’aient eu lieu en France l’élection présidentielle et en Allemagne les élections législatives pour être amorcé. Il doit être un thème fort des campagnes électorales de 2017, ce qui implique, comme toujours en démocratie, d’assumer du dissensus parmi les citoyens pour créer du consensus.

Au sein des partis traditionnels – que ce soit le Parti socialiste à gauche ou Les Républicains à droite –, ceux qui croient à une Europe réformée doivent descendre dans l’arène. Etre un homme ou une femme politique ne consiste surtout pas à renoncer aux sujets impopulaires.

Il est frappant qu’il n’y ait plus, en France, d’équivalent contemporain de Jacques Delors ou de Valéry Giscard d’Estaing, prêts à expliquer avec conviction, et dans des termes simples, les enjeux positifs de la construction européenne. Il faut cependant rendre hommage à quelques élus qui ont le courage de défendre l’avenir de l’Europe dans l’arène publique. Mais ceux-ci sont bien rares.

Trois conditions sont nécessaires pour que le travail visant à convaincre sur un nouveau projet européen soit efficace. Tout d’abord, les élus doivent investir intellectuellement la matière européenne. Il est impossible de générer des idées neuves si on ne maîtrise pas la complexité d’un sujet. Ensuite, il faut construire un discours. La plupart des hommes et des femmes politiques qui voient un avenir à l’Europe ne savent pas comment en parler en des termes simples. Cela se travaille.

Fort potentiel

Il faut enfin cesser de considérer que les citoyens français envisagent l’Europe comme une cause perdue et préfèrent tous la solution d’un repli national. Ceux qui, comme nous, débattent régulièrement avec les citoyens de l’avenir de l’Union européenne rencontrent beaucoup de personnes inquiètes, mais aussi très demandeuses d’être convaincues. La majorité des Français ne veut pas vivre coupée du monde derrière des frontières fermées. Elle a parfaitement conscience que la mondialisation est un fait et est prête à réfléchir à la poursuite d’un projet européen, à condition d’être associée à sa définition.

Ce n’est pas uniquement aux universitaires et aux représentants de la société civile d’affronter le travail de conviction européen, bien que toutes les associations françaises qui travaillent avec des homologues européens à créer du débat – y compris, naturellement, de la controverse – doivent être plus que jamais actives. Mais les hommes et femmes politiques de France ont aussi été élus pour cela. Il faut donc que les partis politiques traditionnels sortent de leur léthargie pour faire une offre européenne aux citoyens. L’aversion au risque européen n’a fait que trop renforcer l’euroscepticisme.

Le potentiel de soutien à l’idée européenne est fort, en particulier dans la jeune génération, si l’invitation leur est faite de participer à un projet politique renouvelé. Toutes les études d’opinion montrent en particulier que les jeunes Français, comme les jeunes Britanniques, se sentent européens. Il ne s’agit donc nullement d’incantation.

Par Christian Lequesne, professeur à Sciences Po (CERI) et membre du conseil scientifique de la Fondation Robert Schuman, et Thierry Chopin, directeur des études de la Fondation Robert Schuman et chercheur associé à Sciences Po (CERI)

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