Les partis transnationaux sont l’engrais d’une politique véritablement européenne

A moins d’un an des élections européennes, la dimension politique de l’Union européenne est en train de dévoiler ses limites. Le dernier sommet européen en apporte la confirmation [Conseil européen des 28-29 juin]. Bien que l’intégration européenne influence de plus en plus la vie des citoyens, le système politique européen, et en particulier sa capacité de représentation politique, n’a toujours pas rattrapé son retard.

Même s’ils votent directement pour leurs représentants au Parlement européen depuis 1979, les citoyens de l’Union européenne le font à des dates différentes, selon différentes lois électorales, et pour soutenir des candidats sélectionnés par des partis nationaux sur la base de programmes nationaux. Si les partis politiques paneuropéens ont bien reçu une reconnaissance institutionnelle et des ressources financières au fil du temps, ils sont toujours constitués de fédérations extra-parlementaires des partis nationaux.

En conséquence, après plus de soixante ans d’existence, l’Union européenne manque de partis politiques capables de promouvoir un véritable espace transnational de débat politique et de dialogue, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des institutions. Malgré l’interdépendance croissante des Etats en matière de politiques publiques – allant des politiques économiques et environnementales aux règlements de protection des données –, les citoyens semblent condamnés à être exposés exclusivement à des débats nationaux sur la direction que l’Union européenne doit prendre.

Tentatives pour européaniser le jeu électoral

Cette compétition nationale s’illustre d’ailleurs dans le traitement médiatique de l’Union européenne : en regardant l’Europe à travers le prisme de l’Etat-nation, les journalistes comme les hommes politiques n’envisagent les politiques européennes que sous l’angle des avantages et des inconvénients pour chaque pays membre. L’éternel absent ? L’intérêt supérieur de l’Union européenne et, à travers ce dernier, celui de tous les citoyens européens. Concrètement, ce paradigme empêche l’émergence d’une opinion publique paneuropéenne, qui serait pourtant la clé d’un espace politique européen efficace et pertinent.

En l’absence de cet espace, les citoyens finissent par croire que la plupart des défis peuvent et doivent être résolus localement. Pourtant, la nature et l’ampleur des enjeux auxquels l’Europe est confrontée – comme l’a récemment illustré le débat sur l’Aquarius – appellent des solutions paneuropéennes que notre système politique communautaire fragmenté est fondamentalement incapable d’aborder et de mettre en place.

Fort de ce constat, différentes tentatives pour européaniser le jeu électoral européen ont émergé.

Tout d’abord, le processus dit des « Spitzenkandidaten » (ou « candidat principal »), qui permet depuis 2014 aux partis européens de choisir un candidat, qui pourrait devenir le président de la Commission européenne en cas de majorité, posait le premier jalon de cette démarche.

Ensuite, à travers le concept des listes transnationales, les partis euro-européens auraient pu être autorisés à présenter une liste de candidats à l’ensemble des citoyens sur tout le territoire européen.

Parler d’une seule voix

Alors que le Conseil de l’Union européenne a renouvelé son soutien aux Spitzenkandidaten, le Parlement européen de son côté s’est récemment opposé aux listes transnationales, ce qui démontre que les partis politiques européens ont peur de perdre leur influence.

Pourtant, c’est exactement la menace qui les guette. En effet, malgré les incitations limitées des partis politiques à européaniser la compétition électorale, un nombre croissant de mouvements paneuropéens autoproclamés émergent à travers le spectre politique. Parmi eux, DiEM25, la coalition de gauche dirigée par Yanis Varoufakis et Benoît Hamon, le plus jeune Volt ou encore Génération identitaire, pour n’en nommer que quelques-uns.

Pour contourner le manque de listes transnationales, ces mouvements enregistrent le même parti dans plusieurs pays de l’Union européenne, ou simplement coordonnent leur programme politique au niveau européen. Dans ce sens, ils peuvent même échanger leurs candidats politiques entre les pays (un ressortissant français peut donc se présenter en Allemagne et vice-versa).

Ce qui distingue ces mouvements des partis politiques traditionnels, c’est leur capacité à se positionner par rapport aux grandes questions paneuropéennes – telles que la politique migratoire ou l’économie – et à parler d’une seule voix à leurs électeurs à travers toute l’Europe.

Un tournant

Issus d’une mosaïque de mouvements, d’associations et d’organisations populaires, ces mouvements paneuropéens mobilisent leurs militants de manière transnationale. En ouvrant une véritable politique paneuropéenne à travers le continent, les mouvements transnationaux suggèrent que le monopole des partis traditionnels sur l’Europe pourrait bientôt être terminé.

En effet, le cadre du débat politique européen est en train de changer : l’Union européenne n’est plus le patrimoine exclusif d’une part des partisans du système européen actuel (Emmanuel Macron ou Angela Merkel par exemple) et d’autre part de ceux qui souhaiteraient sortir de ce système (Marine Le Pen ou encore Viktor Orban). L’Europe en tant qu’espace politique évolue comme un lieu partagé et vivant en cours de construction.

C’est dans ce contexte que les prochaines élections au Parlement européen pourraient marquer un tournant et devenir la première véritable compétition politique européenne ouvrant la voie à l’émergence d’une démocratie transnationale européenne naissante.

Indépendamment de leurs résultats électoraux, le positionnement des mouvements transnationaux va inciter tous les partis politiques à débattre des idées au niveau européen, pour obtenir des votes et des sièges à l’échelle paneuropéenne. En tant que tel, leur existence doit être encouragée car les partis transnationaux sont l’engrais d’une politique véritablement européenne.

Par Alberto Alemanno, professeur de droit à HEC et à la New York University School of Law à Paris, fondateur de The Good Lobby.

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