Les passeurs profitent du silence de l’Europe

La dernière tragédie, prévisible, est la énième preuve de l’absence de l’Europe en matière d’immigration. Une absence politique, une absence de vision, de décisions. Une absence de coopération, de dialogue et de coordination entre les pays de l’Europe. Une absence de politique étrangère commune. Et les résultats sont là. Il y a des cas, surtout en Libye ou bien dans le Sinaï, où les migrants sont détenus et où ils voyagent dans des conditions inhumaines en risquant la vie. Mais trop souvent on se trompe.

Ces trafiquants, ce sont avant tout des vendeurs de rêves, qui monnayent le droit d’asile. Ils offrent exactement ce que l’Europe n’arrive pas à proposer, c’est-à-dire la possibilité de demander l’asile politique.

Les Syriens, les Somaliens, les Érythréens n’ont d’autre choix que de payer un trafiquant pour arriver en Europe et demander l’asile politique. L’asile politique, un droit reconnu par la loi internationale et italienne. Syriens, Somaliens et Érythréens n’ont pas d’autre choix que payer 10 milles dollars pour exercer un droit.

En d’autres mots, ce sont les trafiquants qui donnent des réponses institutionnelles. Le tragique paradoxe de cette situation est que ce sont les organisations criminelles qui répondent aux besoins des migrants, plutôt que les États.

Dans les dernières années j’ai rencontré beaucoup de migrants qui disaient que leur agent (trafiquant) était « un bon mec ». Oui bien sûr, il faut le payer. Mais c’est normal. Il « t’aide ». Il te donne la possibilité de changer ta vie. Il offre un service.

Jusqu’à maintenant nous, journalistes, n’avions raconté que l’histoire des migrants : les débarquements, les routes à pieds, les douleurs, les morts et les efforts des jeunes qui quittaient leur pays. Mais on avait oublié l’histoire cachée de l’immigration. Une histoire qui représente le deuxième business illicite au monde après la drogue ; de 3 à 10 milliards de dollars dans le monde, entre 300 et 600 millions d’euros par année pour la seule mer Méditerranée. Cet argent non traçable, peut alimenter d’autres business illégaux (armes, terrorisme). On avait oublié de raconter l’autre face de l’histoire. Ceux qui gagnent sur les migrants. Et quand on oublie l’autre face de l’histoire on ne raconte plus l’histoire entière.

Le criminologue Andrea di Nicola et moi-même avons travaillé sur diverses procédures judiciaires, avec l’aide de la police et des magistrats. Un voyage de deux ans et demi qui nous a permis de rencontrer et de raconter les vies des hommes qui font ce trafic ; passeurs et grands trafiquants. De petits ouvriers et des grands chefs. En Italie, France, Tunisie, Égypte, Serbie, Congo, Grèce… On a parlé avec eux. Nous avons compris leur manière de travailler, de faire leur business. Pourquoi ont-ils commencé. Comment ils se cachent. On a découvert qu’avant la grande vague « libyenne » la plupart des immigrés irréguliers arrivent à l’aéroport de Rome et Milan avec de faux documents ou des documents périmés. Ils arrivent cachés, des ombres silencieuses à travers les Balkans, ils arrivent avec des yachts de luxe de la Turquie. Et non pas seulement de Lampedusa et de la Libye.

Un passeur sibérien qui travaillé pour un grand réseau turc nous a dit : « Vous ne pouvez pas arrêter l’immigration. Moïse était le premier passeur de l’histoire ». Ce qu’on peut faire serait plutôt de se concentrer pour gérer ses connexes criminels et combattre le trafic de migrants. Il y a des solutions :

Les trafiquants travaillent avec confiance et en coopération entre eux. Ils sont bien organisés. Ils se parlent et font leur business ensemble. Les trafiquants égyptiens avec les Libyens, les Turques avec les afghans, les Soudanais avec les serbe. Ils sont la plus grande agence de voyage illégale du monde. Avec des tarifs, avec des routes changeant au gré des opportunités. Ils ont en somme toutes les caractéristiques d’efficacité que l’Europe devrait mettre en place.

Notre stratégie se base sur trois piliers :

Répression, prévention, protection. Les suggestions devraient être contenues dans une directive contre le trafic de personnes en Europe, comme la récente directive anti traite.

Répression : punir sévèrement le trafic de migrants dans toute l’Europe et uniformément dans les différents pays. Octroyer plus de pouvoirs à Eurojust, le procureur de l’Union Européenne en matière de trafic des migrants. Approfondi la coopération internationale avec les États qui abritent les grands patrons de ce trafic et les villes dans lesquelles ils travaillent (Istanbul, Tripoli, Le Caire, Islamabad, Kaboul, etc). Il ne faut pas que nous nous arrêtions au niveau de passeurs : le passeur n’est qu’un petit criminel ou parfois même un ancien migrant lui-même. Si on arrête 1 200 passeurs (comme le premier ministre italien Matteo Renzi l’avait annoncé avec satisfaction), nous aurons demain d’autres passeurs. Enfin il faut lutter contre la corruption de la police dans les États de transit (Turquie, la Grèce ou la Serbie par exemple.

Prévention : les centres de demande d’asile doivent se trouver au plus proche des pays d’origines des migrants. Nous ne devons pas permettre à un réfugié afghan, syrien ou somalien d’arriver aux frontières de l’Union européenne pour exercer son droit. De cette façon, on s’attaque à la source même du business des trafiquants.

C’est la pauvreté dans certains pays d’origines qui alimente le « rêve » européenne. Il faut une véritable aide de la part de l’Union Européenne au développement, en échange d’un contrôle des flux migratoires. Les aides doivent être contrôlés et évalués.

Protection et secours de migrants : il nous faut une véritable et constante opération humanitaire en mer. Le règlement de Dublin qui prévoit que les réfugiés doivent demander l’asile politique dans le premier pays européen où ils arrivent s’est avéré inefficace. Ceux qui arrivent en Italie par exemple ne veulent pas rester ici. Ils partent pour le nord Europe.

Deux dernières considérations : les trafiquants sont des businessmen très organisés, puissants et qui possèdent souvent beaucoup d’argent. Si l’on fermait une route avec des opérations militaires, si l’Europe fermait les frontières avec des murs (Grèce, Bulgarie), le système trouvera d’autres routes. Peut-être plus longue, plus chères pour les migrants, plus dangereuses. Les trafiquants gagnent l’argent là où nous sommes dans l’urgence, là où nous ne sommes pas organisés, où nous ne planifions pas. Ils s’organisent très vite parce qu’ils sont de vrais entrepreneurs.

Enfin, les suggestions énoncées précédemment sont-elles un prix pour l’Europe ? Évidemment cela coûtera beaucoup d’argent. Mais n’amènent-elles pas des avantages en termes de sécurité, de croissance économique, de stabilité des pays voisins et de sauvegarde de vies humaines ?

Giampaolo Musumeci est journaliste. Il a coécrit avec Andrea di Nicola de Trafiquant d’hommes.

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